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a excité tant d’inquiétudes. Les barrières qui fermaient la carrière d’officier à la généralité des citoyens se sont abaissées par le concours, cela est vrai ; mais il reste néanmoins des limites d’autant plus infranchissables qu’elles sont marquées par la nature même des choses et gravées dans les mœurs. Ces limites sont l’éducation préparatoire, qui, dans lac Grande-Bretagne, exige de lourds sacrifices d’argent, le prix élevé de la pension à l’académie, surtout le point d’honneur des officiers anglais, qui n’admettent guère parmi eux que des jeunes gens de bonne famille. Sous le régime des nominations par le grand-maître de l’artillerie, le fils d’un quarter-master (maréchal-des-logis) avait été admis dans l’académie de Woohvich à la recommandation du duc de Wellington. Les cadets ignoraient sans doute cette dernière circonstance. À son entrée, le nouveau-venu fut mal accueilli, tenu à l’écart, et, comme disent les Anglais, bullied. Prévenu de ce qui se passait, le duc se rendit lui-même à Woolwich, et défendit son protégé : « C’est moi, dit-il aux autres cadets, qui l’ai recommandé par respect pour la mémoire de son père, un humble, mais brave sous-officier qui a rendu des services dans les campagnes où nous nous sommes trouvés ensemble, et quiconque d’entre vous maltraitera dorénavant ce jeune homme aura affaire à moi. » Il ne fallut pas moins que cette haute intervention pour effacer la distance entre le fils du quarter-master et les autres élèves de l’école. Dans une autre circonstance, un autre intrus, d’après les idées des cadets, avait été mis de même par eux at coventry, — ce que nous appellerions en quarantaine. Défense était faite de lui parler durant les récréations. Un seul enfreignit généreusement la consigne. Ce camarade était blâmé et menacé par les autres cadets, lorsque, brandissant sa canne et s’appuyant sur la seule jambe que lui avait laissée Waterloo, le marquis d’Anglesea, alors gouverneur de l’académie, loua énergiquement l’action de ce jeune homme. On voit par là quelle était autrefois la force de résistance au mélange des individus dans le corps, des officiers anglais ; le concours a pu modifier cette résistance, mais il ne l’a point vaincue, et sous ce rapport même les craintes des conservateurs étaient exagérées. En principe, l’accession aux écoles militaires est ouverte à tous depuis 1855 ; en fait, elle demeure restreinte à une certaine classe que nous appellerions en France « la haute bourgeoisie. »

Les examens d’entrée ont lieu deux fois par an à Chelsea-Hospital ; ils se tiennent, sous la surveillance et la direction du conseil d’éducation militaire, dans une longue salle décorée par de vieux drapeaux de toutes les nations, vénérablement troués et pris par les Anglais dans différentes batailles. Les seules conditions exigées des candidats qui se présentent sont des garanties de moralité et l’exemption de certains défauts corporels qui les rendraient impropres au