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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/274

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de Londres, dans les sables stériles et ferrugineux de Bagshot-Heath. De sombres bruyères, des flaques d’eau verdâtre étendues sur un sol tourbeux, quelques chétifs bouquets de pins, le seul arbre qui se plaise dans les mauvaises terres, des plaines nues et désolées, des collines maudites dont les habitations de l’homme se sont éloignées, tout cela présente la tristesse, mais aussi la grandeur de la solitude. C’est au milieu de ce désert que s’élèvent, comme une oasis formée par la main de l’homme, le collège militaire de Sandhurst et les riches plantations qui l’environnent. Un épais rideau de pins dérobe au voyageur la vue de l’édifice. Les maisons des professeurs s’alignent parallèlement à une ancienne route, Western Mail-Coach Road, dont elles sont séparées par une haie d’arbrisseaux. Ces maisons doubles, détachées l’une de J’autre par des intervalles égaux et remplis de verdure, ont un grand air de calme, de fraîcheur et d’élégance. Bientôt vous entrez dans un parc, entrecoupé de gracieuses avenues et orné de trois lacs, dont l’un, traversé par les cygnes, s’étend vis-à-vis la façade du collège. L’édifice, avec deux ailes, dont l’une sert de résidence au lieutenant-gouverneur et l’autre d’hôpital pour les cadets, présente une entrée monumentale. Un portique soutenu par des colonnes doriques et un vestibule orné de faisceaux d’armes vous introduisent dans les vastes couloirs qui conduisent aux salles d’étude, aux chambres de modèles, aux étages supérieurs du bâtiment. Au moment où je visitai Sandhurst, une jeune lady en costume de chasse, avec un grand lévrier couché à ses pieds et un cheval dont elle tenait la bride, debout sur les marches des galeries qui font communiquer entre elles les différentes parties de l’édifice, semblait au milieu de cette solitude une apparition du moyen âge attirée par la voix du clairon qui sonnait les exercices de l’école.

Malgré les tristes sables de Bagshot, les environs de Sandhurst ne manquent point de promenades agréables. Je me rendis à quelques milles de là pour voir à Binfield l’arbre de Pope. La tradition veut que le poète qui habitait une maison dans le voisinage ait composé quelques-unes de ses pièces de vers sous un bosquet de hêtres qui domine le versant d’une colline. Une admiratrice de Pope, lady Gower, voulant perpétuer ce souvenir, avait fait graver sur l’écorce d’un de ces arbres au pied duquel se trouvait alors un banc : « Ici Pope chanta, here Pope sung. » Je n’ai plus retrouvé le hêtre ni l’inscription. Un peu désappointé, je m’éloignais, quand un Anglais à qui je confiai le peu de succès de mon voyage me dit avec assez de bon sens : « Notre lady Gower ne savait point ce qu’elle faisait. Ce n’est point sur l’écorce des arbres qu’il faut graver le nom des poètes, c’est dans le cœur et la mémoire des hommes. »

On trouve réunies à Sandhurst sous le même toit deux institutions