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mythologiques qui se multiplièrent sous son ciseau, si Pradier n’eût consenti à produire que des œuvres comme le Fils de Niobé, les Renommées et les Victoires qui ornent l’Arc de Triomphe et la crypte des Invalides, s’il se fût, par respect pour son talent et pour l’art auquel il avait voué sa vie, imposé la loi de traiter toujours sérieusement cet art essentiellement sérieux, peut-être l’indifférence publique l’eût-elle puni de sa réserve. En méconnaissant au contraire une partie des conditions qui lui étaient prescrites, le sculpteur de la Bacchante et le Satyre, de Phryné et de bien d’autres statues ou statuettes du même genre a été récompensé par de bruyans succès. Reste à savoir si, au risque de demeurer un peu oublié de la foule, l’artiste n’aurait pas eu tout à gagner dans le sentiment du devoir accompli et dans l’approbation des bons juges.

Rien de plus naturel d’ailleurs, rien de plus aisément explicable que cette anomalie dont nous parlions tout à l’heure entre l’empressement du public autour de toiles fort secondaires et le froid accueil réservé d’ordinaire aux travaux et au talent des sculpteurs. Nos inclinations présentes nous portent en général à rechercher dans les produits de l’art un plaisir pour les yeux bien plutôt qu’un élément d’instruction, ou, comme disait Poussin, de « délectation » pour l’esprit. Le moyen de contenter ce besoin d’amusement à tout prix en face de beautés qui n’existent qu’à la condition d’être graves ? Comment se sevrer brusquement du spectacle accoutumé des gentillesses pittoresques pour se mettre au sévère régime de la ligne, de la forme pure, de la vérité sans caprice, sans accident d’expression ni d’outil ? Rien de ce que nous avons vu ailleurs ne nous a préparés à ces pratiques austères : aussi, quand l’occasion vient pour nous de les connaître, nous trouve-t-elle le plus souvent distraits ou dépaysés. Ajoutons, pour être juste, que la banalité de certaines données, la reproduction à satiété de certains types, ne laissent pas d’excuser notre froideur et d’expliquer en partie l’impopularité de la statuaire aujourd’hui. Nous avons vu, depuis le commencement du siècle, tant de statues sorties du même moule académique se dresser invariablement au Salon, tant de gens vouer leur ciseau à l’oiseuse besogne de rééditer d’année en année ce qui avait déjà paru cent fois, que nous avons fini par confondre les conditions de cette industrie stérilement féconde avec les lois de l’art lui-même. Il semble que la sculpture n’ait et ne puisse avoir de nos jours d’autre office que de continuer tant bien que mal une méthode immuable, et que les sculpteurs doivent borner leur ambition à modeler, suivant des procédés convenus, d’honnêtes, figures allégoriques auxquelles les salles de quelque musée de province prêteront ensuite une hospitalité de hasard. De là cet éloignement instinctif, tranchons