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dans le disciple à demi émancipé du Verocchio, où Michel-Ange sculpte sa tête de faune, et Donatello ses premières figures de saint Jean. Sans prétendre établir des rapprochemens téméraires, on peut dire que le Joueur de ruzzica ’ résume dans la carrière du sculpteur français, cette période des audaces discrètes et des fraîches inspirations. Quelques années encore, et la main se montrera plus savante, les formes qu’elle modèlera accuseront des intentions plus sûres, un goût plus sévère et mieux éprouvé à tous égards ; quelque chose aura disparu pour jamais de la franchise dans le sentiment, de la sincérité première : étrange mystère de l’art qui convertit parfois les secours mêmes en dangers, les conseils de l’expérience en tentations ou en parti-pris, et la recherche opiniâtre du mieux en concession à l’esprit de système ! Et pourtant, de peur de compromettre sa liberté d’action, un artiste doit-il répudier les traditions et les règles ? Pour sauvegarder le sentiment, lui faut-il sacrifier la méthode ? Non, certes. L’art, on le sait de reste, n’a pas plus la fantaisie absolue pour principe qu’elle n’a pour objet l’effigie de la réalité, et la sculpture en particulier s’accommoderait mal de l’indépendance formelle et du caprice. Ce que nous voulons dire seulement, c’est que les progrès techniques les plus heureux ne s’accomplissent plis toujours sans dommage pour l’imagination personnelle, qu’à force d’avoir appris à raisonner, on court le risque de ne plus savoir aussi vivement sentir, et que, dans le domaine des arts comme ailleurs, l’âge, qui amène la maturité de l’esprit, emporte trop souvent les inspirations spontanées et les faciles émotions du cœur.

En ce qui concerne Simart, il serait très injuste sans doute d’attribuer un mérite tout de surface, une signification purement décorative, aux travaux qui ont rempli la seconde moitié de sa vie. On sera néanmoins forcé d’avouer qu’ici la part faite aux calculs scientifiques, aux combinaisons patientes, est bien près de l’emporter sur la part laissée à la verve et aux suggestions du sentiment. Veut-on un exemple de cette prédominance du style un peu exclusive dans les ouvrages de Simart, quelquefois même de l’insuffisance morale des moyens choisis par ce talent : que l’on jette les yeux sur le groupe représentant la Vierge et l’enfant Jésus que possède la cathédrale de Troyes. À ne considérer que le travail du ciseau, il y aurait beaucoup à louer dans ces deux figures, exécutées avec une remarquable délicatesse ; mais au point de vue de l’invention et de l’impression religieuse qu’il s’agissait avant tout de produire, le groupe de la cathédrale de Troyes est véritablement défectueux. Reconnaîtra-t-on l’image du Dieu des chrétiens, d’un Dieu de mansuétude et de miséricorde, dans ce petit Jupiter boudeur et court vêtu, dont le visage grimace une majesté emphatique, tandis que