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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/377

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mais si la forme est plus agréable, le fond n’a pas, il s’en faut de tout, une valeur égale. Après avoir payé le premier semestre de l’éducation de George, le brillant colonel, envoyé en mission dans de lointaines contrées, ne s’est plus occupé de son fils. Son frère, à qui on s’est adressé, a largement pourvu aux frais de cette éducation coûteuse. Il l’a fait de mauvaise grâce, d’accord ; il a tenu note des moindres dépenses et envoyé régulièrement le compte de ses avances à son débiteur, — c’est-à-dire son frère, — qui, très régulièrement aussi, jetait au panier, sans y prendre garde, cette correspondance commerciale. Le vieux merchant a payé néanmoins, et tout à l’heure encore il a garni de bank-notes le portefeuille de George, dont le voyage en Orient lui semblait une fantaisie déplacée. Le colonel, lui, n’a pas consacré depuis dix ans une guinée à son fils bien-aimé. En revanche, quand il le retrouve brillant d’esprit, couronné des palmes d’Oxford, promis peut-être à de grands succès, il le presse fort tendrement sur son cœur, déploie pour lui plaire toutes les grâces de la diplomatie, l’abandon flatteur, l’indulgence aimable dont il a pris l’habitude en promenant de pays en pays sa souplesse officielle. Comment résister, quand il s’est mis en tête de gagner votre cœur, à un père aussi bien doué ? George se laisse fasciner, étourdir, et sa généreuse candeur, sa confiance filiale, ne seront pas même effleurées le jour où le colonel, en se séparant à regret de son cher enfant, lui laissera payer seul leur dépense commune.

A Jérusalem cependant, George a rencontré, courant le monde en compagnie l’une de l’autre avec l’intrépidité particulière au beau sexe anglais, deux demoiselles d’âge et de beauté fort diverses. Miss Baker, propre nièce du vieux Bertram, est une honnête et douce personne comme il en faut au bal pour « faire tapisserie, » et en voyage pour servir de chaperon ; Caroline Waddington au contraire, belle, grande, fière, spirituelle, ambitieuse, a tout ce qu’il faut pour tourner la tête d’un double first en disponibilité. Objet de nombreux hommages, elle mène de haut ses très humbles adorateurs, en per-sonne qui sait ce qu’elle vaut, et ne se croit pas faite pour le premier venu. George, tout pénétré qu’il est de son propre mérite, ne se hasarderait peut-être pas à lever les yeux sur une divinité si imposante ; mais le hasard, qui veut sans doute les rapprocher, lui fait découvrir à temps que cette belle personne est la pupille de son oncle. Il ignore alors, il saura plus tard qu’un lien plus direct et plus étroit existe entre eux. Caroline est effectivement la petite-fille du vieux millionnaire ; mais, issue d’un mariage contracté malgré lui, jamais il n’a voulu la reconnaître pour telle, et en lui assurant une existence convenable, il a stipulé qu’elle lui demeurerait étrangère.