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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/390

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La comtesse avait une fille et un fils, celui-ci mineur encore, et dont les tuteurs administraient les domaines substitués en attendant l’heure où il en prendrait possession. Sur les revenus on payait les dettes arriérées, et on prélevait pour la comtesse douairière une pension qui défrayait à peine les premières nécessités du rang qu’elle avait à garder. Deux filles et un fils composaient la famille de sir Thomas Fitzgerald. Leur mère vivait encore, jadis citée pour sa beauté, maintenant pour sa mélancolique douceur, sa pieuse résignation. Son histoire était un de ces romans comme on en a tant lu. Fille d’un petit clergyman du Dorsetshire, Mary Wainwright expia chèrement la renommée que ses charmes lui avaient value. Ils attirèrent les regards d’un étranger qui était venu louer une chasse dans les environs du village où elle résidait. Le grand train qu’il menait l’y avait promptement naturalisé, et quand il demanda la main de la belle Mary, les parens de celle-ci ne purent concevoir aucune défiance. Cette union inespérée s’accomplit avec toute la hâle que réclamait l’impatience du fiancé. Quelques mois après, cet aventurier, qui s’était présenté sous le faux nom de Talbot, et dont le luxe menteur était défrayé par la crédulité des dupes qu’il faisait de tous côtés, disparut un beau matin, et sut se dérober à toutes les recherches, soit de ses créanciers, soit des parens de sa femme. Ce fut seulement après un laps de temps assez notable qu’ils parvinrent à retrouver quelques vagues indices de ce personnage, qui, sous le nom de Chichester, se trouvant à Paris durant l’occupation étrangère de 1815, y avait péri, assurait-on, à la suite d’une rixe survenue dans une maison de jeu. L’enquête suivie à laquelle on se livra parut établir une identité complète entre l’escroc tué dans une ruelle du Palais-Royal et le misérable qui était venu porter le malheur sous le toit des Wainwright. Ceux-ci regardèrent donc le fait comme parfaitement acquis, et leur fille, reprenant le nom de Talbot, qu’elle avait un moment quitté, porta le deuil de ce mari à qui on avait livré son insouciante et ignorante jeunesse. Ce fut sous ces noirs vêtemens, et alors qu’elle était encore sous le coup de ses précoces infortunes, que sir Thomas Fitzgerald, presque aussi jeune qu’elle, la vit et s’en éprit follement. Il n’était au pouvoir de la jeune femme ni de partager un amour, aussi vif, ni de se refuser aux inspirations d’une profonde reconnaissance. Elle s’abandonna une fois encore à sa destinée, et, toujours irréprochable, demeura l’idole de ce second mari que le sort venait de lui donner comme compensation du premier.

Les premières années de leur union semblèrent attester qu’en effet la Providence était lasse de frapper sur cette douce et inoffensive créature ; mais, alors qu’on pouvait la croire aussi sûrement