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terrible vice-roi un régénérateur de l’Orient, un représentant de la nationalité égyptienne ou arabe, lui qui excluait systématiquement les Arabes de tous les grades supérieurs de son armée et de son administration, lui qui donnait les prisonniers turcs faits à la bataille de Koniah pour officiers aux soldats qui les avaient vaincus, lui qui professait un tel mépris pour les Arabes qu’il feignait même de ne pas comprendre leur langue !

Il était resté maître de la Syrie pendant à peu près neuf ans, lorsque les alliés de 1840 vinrent la lui arracher pour la faire rentrer sous l’obédience directe du sultan. C’était chose facile à déclarer sur le papier ; mais ce qui était difficile, sinon même impossible, c’était de faire en sorte que le sultan fût capable de gouverner cette province qu’on lui rendait. C’était un changement qui devait médiocrement toucher la population chrétienne, laquelle compte pour un tiers environ dans le nombre total des habitans ; c’était une restauration qui n’avait guère d’autre mérite aux yeux de la population musulmane que de l’affranchir du joug désastreux de Méhémet-Ali. Les réformes opérées par le sultan Mahmoud, qui avait dû commencer par l’extermination des janissaires et par la destruction de la féodalité ottomane, ces réformes étaient très peu populaires parmi les Arabes de Syrie, où l’orgueil de la race et la noblesse des familles ont autant d’influence qu’en aucun pays du monde. Il a fallu sans doute une énergie extraordinaire au sultan Mahmoud pour parvenir, comme il l’a fait, à ruiner complètement l’ancienne aristocratie musulmane ; mais il ne faut pas croire que, pour avoir réussi dans cette entreprise, il ait acquis une ombre de popularité, ni surtout qu’il ait fondé un gouvernement. Les spahis, les agas, les timariotes, les dereh-beys étaient certainement devenus la cause d’embarras très sérieux, et certainement aussi ils auraient opposé une résistance désespérée à la réalisation de tous les projets que le sultan avait formés avec l’espérance de remettre l’empire au niveau des autres états européens ; cependant ils représentaient la véritable administration municipale et provinciale du pays, et à certains égards ils valaient mieux que la centralisation qui leur a succédé. Si leurs idées théoriques en fait d’administration étaient très bornées, s’ils étaient beaucoup trop portés à regarder la violence comme un moyen de gouvernement, du moins ils ne pouvaient pas rester étrangers à l’influence des sentimens que font naître partout la possession et l’habitation héréditaire du sol, entourées de certains droits et de certains privilèges héréditaires aussi. Si incultes et si grossiers qu’ils fussent, ils devaient bien sentir qu’il était de leur intérêt de protéger leurs inférieurs ; de plus ils se faisaient échec les uns aux autres, comme aussi ils devaient souvent contenir les exactions des pachas