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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/453

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Rios leur fit les honneurs de la ville ; il leur montra notamment le télégraphe électrique, qu’ils regardèrent avec indifférence, comme des hommes qui n’éprouvent nul besoin de dévorer le temps, de vivre des années en quelques minutes et de savoir des nouvelles qui ne répondent ni à leurs intérêts, ni à leur ambition, ni à leur âme. Ces envoyés étaient le gouverneur du Riff, grave et sévère personnage, — son frère, général de la cavalerie marocaine, homme d’une physionomie franche et ouverte, — un lieutenant de Muley-Abbas, nerveux, vif, impressionnable et renommé pour sa brillante valeur, — un chef de Fez au visage rude, au regard terrible, taciturne et sombre. Ils étaient préoccupés et tristes. Rios les reçut le soir dans sa maison, et il ne manqua pas de leur dire qu’ils pouvaient influer puissamment sur la fin de la guerre. « Ah ! dit le lieutenant de Muley-Abbas, qu’il en soit ainsi ! Mais comme vous obéissez à la reine, nous obéissons au sultan. Que Dieu illumine ceux qui tiennent dans leurs mains » la paix et la guerre ! » Six jours après, un de ces mêmes parlementaires se présentait de nouveau au camp, et O’Donnell lui remit cette fois les conditions de paix que l’Espagne était disposé, à ratifier, en laissant un délai de huit jours pour l’acceptation. La négociation jusque-là n’allait pas très vite. On crut sans doute la hâter et lui donner un caractère plus sérieux par une entrevue de Muley-Abbas lui-même et de celui que le prince maure appelait « le grand chrétien, » du chef de l’armée espagnole, qui venait de recevoir de la reine le titre de duc de Tetuan. Cette entrevue devait avoir lieu le 23 février, à une lieue et demie, sur la route de Tanger, dans une vallée gracieuse et fertile.

Ce fut là qu’on se rencontra en effet. Une tente de campagne aux couleurs éclatantes avait été dressée au pied d’une pittoresque colline, et pour la première fois le chef de l’armée espagnole, arrivant avec ses généraux, Prim, Garcia, Quesada, Ustariz, se trouva face à face avec Muley-Abbas. Ce prince du Maroc n’était pas une figure vulgaire. Je voudrais le peindre tel que l’a vu un écrivain espagnol. Muley-Abbas était vêtu ce jour-là d’un costume plein de richesse et de simplicité à la fois. Il portait une tunique bleue et un magnifique haïk blanc, de la plus fine laine, enveloppant tout son corps de ses plis flottans. Il avait à la main un rosaire d’ambre dont il respirait parfois le parfum. Tous ses mouvemens avaient une grâce sévère et une élégante dignité. « Le visage de l’émir, dit M. Alarcon, a tous les caractères de la véritable beauté méridionale ; il rappelle l’Éliézer des peintres de Valence. Il est très brun, et il le paraît encore plus sous son turban d’une blancheur éblouissante. Sa barbe noire, longue et soyeuse, laisse voir quelques fils d’argent, quoique le prince n’ait pas plus de trente-cinq ans. Son profil a une pureté