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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/503

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s de Berne, m’inspirait une vive curiosité. J’avais la promesse positive d’une place de conseiller à vie dans le conseil de l’université : on s’occupait des écoles primaires, on pourrait peut-être y adapter quelques-unes des vues de ces deux célèbres instituteurs ; mais il faut voir soi-même ces sortes d’objets, que les livres représentent toujours imparfaitement. Ces motifs, et plus encore le désir et l’espérance de servir ma patrie et l’humanité, si j’obtenais quelque résultat utile de la mission qui m’était proposée, me déterminèrent. Je l’acceptai ; j’offris à Mme de Laharpe de l’accompagner jusqu’à Zurich et d’y attendre avec elle le retour de son mari. C’était un voyage d’agrément pour moi, des vacances qui me reposeraient de mes travaux.

Nous partîmes de Paris le 27 avril, deux jours après l’anniversaire de ma naissance. Nous ne voyageâmes que de jour, par un fort beau temps ; nous fûmes une semaine en route. Ce voyage, quoique un peu fatigant, fut très agréable pour moi, et ne pouvait manquer de l’être, du reste sans accident et sans événement quelconque. M. de Laharpe avait recommandé à sa femme d’aller par Neuchâtel et non par Bâle, où il pensait qu’il devait y avoir des troupes et qu’elle pouvait trouver des embarras ; nous en trouvâmes d’inattendus en prenant par Neuchâtel.

Dès mon entrée sur le territoire helvétique, le premier jour de mai, les formes de réception me parurent peu hospitalières. Aux Verrières, qui étaient le premier poste suisse, on mit un fusilier sur le siège de la voiture ; on en mit un autre au second poste, et nous arrivâmes ainsi jusqu’à Motiers. À Couvet, petite place où l’on visa nos passeports, un certain colonel de Scheffland écrivit sur le mien, au lieu d’un simple vu pour aller à Neuchâtel, ces propres mots : avec ordre de se présenter à Neuchâtel dans le bureau du chef de la deuxième brigade des troupes confédérées. À Neuchâtel, il nous fallut aller en personne chez ce chef, qui se nommait le colonel Effinguer. Mme de Laharpe fut poliment reçue ; moi, je fus reçu froidement et d’un air hautain. Le droit chemin de Neuchâtel à Zurich est par Soleure. Le colonel voulut absolument que nous allassions par Berne. Il répondit aux observations et aux instances que lui faisait Mme de Laharpe : « Il n’y aurait, madame, aucune difficulté pour vous ; mais monsieur… » Et cela fut accompagné d’un regard fort peu obligeant pour moi. Malgré tout ce que nous pûmes dire, il visa donc mon passeport pour aller par Berne à Zurich.

J’ai su dans la suite pourquoi il tenait tant à m’envoyer par Berne : c’est qu’il comptait que je n’y obtiendrais pas de l’état-major de l’armée la permission d’aller plus loin. Voilà où en était déjà pour nous la neutralité helvétique. Le colonel fut trompé dans son attente.