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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/55

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c’est ainsi que, dans les colonies espagnoles et portugaises, se sont formées des races mixtes qui président aux destinées de leur pays, de concert avec la race primitive, sans que la dignité humaine en gémisse. Si des sentimens différens portent la race anglo-saxonne à se conserver pure de tout mélange, sans incriminer ce trait de mœurs nationales, nous ne sauvions y voir un modèle absolu à suivre. La sociabilité qui porte les peuples de souche gauloise et latine à s’allier, même par le sang, aux peuples les plus divers, pour les élever au christianisme et à la civilisation, serait-elle moins digne d’estime que la fierté des races saxonnes, qui les refoulent pour ne pas se souiller de leur contact ?

Ces temps de complète réconciliation sont encore éloignés, nous le savons. Les incendies qui, en 1859, ont répandu la terreur à la Martinique, et motivé l’état de siège, révèlent en traits sinistres, comme sous l’esclavage les empoisonnemens, quelles haines survivent entre les diverses classes : triste fruit de deux : siècles d’oppression légale et de domination abusive. Tout en assurant, par une ferme répression, respect à la propriété et sécurité aux personnes, puisse la métropole, répudiant les leçons d’un autre âge, déployer pour l’entente cordiale des races autant de zèle qu’elle en mit jadis à leur séparation ! La justice, la liberté, l’éducation, la propriété, le droit commun, également garantis à tous, sont les conditions fondamentales de cet accord, et il y aurait péril à n’y pas veiller avec une extrême sollicitude. Sur une population totale de 268,000 habitans sédentaires[1], les blancs ne dépassent guère 22 ou 25,000 âmes, un douzième environ. Quant à la population de couleur, elle s’accroît tous les ans de l’immigration africaine, asiatique et chinoise. Ces simples chiffres disent toute la gravité de la situation et la nécessité absolue d’une politique de rapprochement.


II. — LES CULTURES ET LES INDUSTRIES COLONIALES.

À travers bien des épreuves, les établissemens coloniaux ont grandi dans les lieux où s’élevèrent les premiers campemens de l’occupation française, au milieu des marécages couverts de mangliers et de palétuviers. Ils sont pour la plupart placés sous le vent, c’est-à-dire à l’ouest, sur le côté du rivage le plus facilement abordable. À la Martinique, on les nomme Fort-de-France (jadis Fort-Royal) et Saint-

  1. La statistique de 1856 attribue 136, 400 habitans à la Martinique, et 131, 517 à la Guadeloupe avec ses dépendances. Ce n’est que par approximation que l’on peut évaluer les diverses races, l’état civil ne tenant plus compte des couleurs, à la différence de ce qui se faisait dans l’ancien régime.