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au lieu de vous faire prendre par la droite, que vous auriez trouvée remplie de troupes en marche ; les exhibitions de passeports, les vérifications, les explications se seraient multipliées et vous eussent fait perdre beaucoup de temps. Par ce côté-ci, par Morat, Payerne, Yverdun et Jougne, vous ne rencontrerez personne, et deux jours de route suffiront pour vous remettre en France.

Je lui avouai que je trouvais à cela un avantage de plus. Je n’avais pu aller voir l’établissement de Pestalozzi, quoique ce fût un des objets de mon voyage. Si mes journées se trouvaient coupées de manière que j’eusse quelques heures à passer à Yverdun, je saisirais cette occasion… Il sourit et me dit d’un ton tout à fait aimable : — Croyez-moi, remettez cette visite à un autre voyage ; vous n’avez point de temps à perdre. Allez en France tout d’un trait, si vous le pouvez, et sans regarder derrière vous. Permettez-moi maintenant de vous parler d’autre chose. Vous savez que ces maudits Suisses ne font rien pour rien ; vous pouvez à votre tour me rendre un très grand service, et je me suis flatté que vous le voudriez bien… Je suis père de famille ; j’ai laissé à Paris des enfans que j’aime avec la plus grande tendresse. Mes deux filles sont au couvent des Dames anglaises. Tant que les communications ont été permises, je leur ai écrit de temps en temps ; maintenant je ne le puis plus, et je suis sûr que ces pauvres enfans sont dans les plus grandes inquiétudes. Veuillez bien vous charger d’une lettre de quelques lignes où je ne leur parlerai d’autre chose que de ma santé ; mais voici le grand bien que vous pouvez leur faire, par conséquent à moi-même, et la bonne action que je vous demande. Les lettres mentent souvent par amitié. On veut prévenir les inquiétudes, on se vante d’une santé qu’on n’a pas ; les personnes à qui l’on écrit savent cela, et lors même qu’on leur dit vrai, elles croient. qu’on leur en impose. Un témoin oculaire obtient plus de confiance, et c’est votre témoignage personnel auprès de mes filles que je sollicite comme le service le plus important. Dès que vous serez à Paris, ayez donc l’extrême bonté de vous transporter aux Dames anglaises, d’y demander MIles de Castella, de leur remettre mon billet et de leur affirmer, relativement à ma santé, ce que vous voyez et ce qui est heureusement très réel.

Je lui promis de faire cette commission intéressante dès le lendemain de mon arrivée. Je n’y trouvais qu’un inconvénient, et je lui en fis l’aveu : c’est que ce couvent est dans mon quartier, et que le faubourg Saint-Marceau est si près de la rue du Cherche-Midi, que je n’aurais pas même le léger mérite de faire une course un peu longue pour le servir.

— Vous aurez ce mérite de plus, reprit-il, pour le second objet