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procuré aux planteurs une main-d’œuvre à vil prix. Du jour où le rang social se mesura au nombre des nègres que l’on possédait, le dédain de tout instrument autre que la houe de l’esclave devint à la mode pendant deux siècles, et ce ne fut que vers la fin de la restauration, lorsque le régime de la servitude commençait à être menacé, que reparurent quelques charrues. Il a fallu les impérieuses nécessités qui ont suivi l’émancipation pour les remettre en honneur sur des terres qui en comportent l’usage. Avec la charrue, d’autres instrumens ont pénétré pour les défrichemens, les sarclages, les transports ; on ne tardera pas sans doute à essayer quelque engin, dans le genre des machines à faucher et à moissonner, pour la coupe des récoltes ; les chemins améliorés permettront aussi l’emploi de véhicules supérieurs au cabrouet traîné par les bœufs et de montures moins grossières que les mulets.

Au sol, fouillé profondément et en tout sens par les charrues et leurs auxiliaires, se joindront les engrais, dont on s’est montré jusqu’à ce jour fort peu prodigue. Morue avariée, noir animalisé, poudrette, sang desséché, surtout guano et fumier de ferme, tout devra être essayé, et, suivant les prix, s’appliquer sur une large échelle. La bagasse, paille et tige de la canne, ne pourrait-elle aussi être réservée pour faire litière et remplacée dans son rôle de combustible par la houille ? Il faudrait en outre soumettre à l’expérience le pois de Mascate, qui fait merveille à La Réunion comme engrais vert. Sans de tels secours, comment entretenir l’éternelle jeunesse de l’humus ? Le drainage n’est pas moins nécessaire dans ces terres des Antilles, que pénètre une excessive humidité. L’utilité en est du reste fort appréciée : à défaut de tuyaux de poterie, on a usé de bambous, non sans succès. On compte à la Martinique seulement 6,000 hectares à drainer au milieu des plantations. En 1850, le conseil-général de cette île a voté une allocation de 30,000 francs de primes et d’indemnités. Le problème est désormais résolu par les essais qui ont réussi sur plusieurs habitations, et qui ont amené, comme en Europe, outre un accroissement de produit, l’amélioration sanitaire des localités, bienfait inappréciable en des pays qui doivent l’insalubrité dont on les accuse moins à l’ardeur des rayons solaires qu’aux eaux stagnantes à la surface ou dans la profondeur du sol.

Ces réformes devront aboutir sinon au repos des terres, du moins à l’alternance des cultures, innovation qui ne peut elle-même être réalisée qu’en substituant à un système rural fondé sur une spécialité exclusive de produits exportables une organisation qui admette la variété des cultures végétales et des éducations animales. La ferme en un mot, avec ses élémens constituans, basse-cour, bétail, laiterie, jardin, verger, pépinière, prés, champs, bois, succéderait