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convocation à bref délai, ni la communication faite à brûle-pourpoint, ni la disparition des titres, mais bien le calme d’esprit que révèle la note d’Oberkampf. Rien n’y montre qu’il ait obéi à la peur, comme on serait peut-être tenté de le supposer en songeant qu’un refus pouvait être l’équivalent d’un arrêt de mort. S’il eût cédé à cette pression, la colère percerait en quelque endroit ; les mots de violence et d’extorsion seraient tout naturellement venus au bout de sa plume. Loin de là ; il raconte le fait du ton le plus simple. On a invoqué le salut de la patrie, on lui a demandé sa signature, et il l’a donnée sans hésitation.

Deux mois après, le 22 avril, une estafette apportait un nouveau message à ta manufacture. Cette fois c’était bel et bien une communication du comité de salut public ; mais il n’y avait dans la teneur de cette pièce rien que de rassurant. L’original a passé sous nos yeux. Les membres du comité de salut public requéraient tout simplement le citoyen Oberkampf « pour être employé à continuer, avec sa femme et ses enfans, ses opérations, qui ont été reconnues utiles à la république. » Cette réquisition, quoique fort rassurante, produisit un certain étonnement à Jouy, car on n’y avait pas discontinué les travaux, les ouvriers n’avaient point été congédiés, et si les ateliers offraient des vides, ce n’était que par suite du départ des volontaires, que l’enthousiasme patriotique avait poussés à la frontière ; mais un fait qui ne fut connu dans la famille qu’à la suite du 9 thermidor fournit une explication plausible de la réquisition du comité. Un misérable avait dénoncé Oberkampf auprès du comité de sûreté générale, comme entaché de modérantisme, de royalisme, et suspect d’accaparement. C’était plus qu’il n’en fallait pour le conduire au tribunal révolutionnaire, où l’issue du jugement n’eût pas été douteuse. Heureusement il se trouva dans le comité de sûreté générale un homme qui détourna le coup : ce fut Amar. Bien qu’engagé aussi avant que ses collègues dans le drame sanglant de la terreur, il n’écouta dans cette circonstance que l’inspiration de la justice et de l’humanité. L’accusé lui était personnellement inconnu, mais, sur sa seule réputation, il parla courageusement pour lui, et la dénonciation fut écartée. La réquisition du comité de salut public était la conséquence de l’intervention d’Amar et comme une espèce de sauvegarde destinée à rassurer la famille. On ne s’expliquerait pas sans cela qu’il y fût fait mention de Mme Oberkampf et de ses enfans, qui n’avaient pas à s’occuper des travaux de la manufacture.

Si l’on avait su à Jouy le danger auquel Oberkampf venait d’échapper, une visite reçue quelque temps après, et dont l’effet fut grand dans le village, eût certainement produit une impression plus vive encore. Le 7 messidor an II (25 juin 1794), une voiture entra dans la cour de la manufacture. Avant qu’elle fût entièrement arrê