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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/739

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de notre temps sont-ils si étourdis qu’ils ne puissent pas prévoir d’avance la portée et la signification des actes et des faits les plus caractéristiques ? Il y a à Rome une question simple, devant laquelle, une fois l’événement de l’invasion piémontaise accompli, s’effacent toutes les questions antérieures et corollaires auxquelles peut donner lieu le gouvernement temporel de la papauté. Le drapeau français est à Rome, il y est comme un symbole d’alliance et de protection étendu sur le gouvernement pontifical. Cherchera-t-on à restreindre la portée de cette alliance et de cette protection par des distinctions et des réserves ? On le pouvait tant que le territoire pontifical n’était pas violé par une agression étrangère, on le pouvait même si l’autorité du pape sur ses provinces eût été attaquée victorieusement par les populations indigènes : nous pouvions dire alors que nous ne voulions pas intervenir dans toutes les querelles qui s’élèveraient entre le pape et ses sujets ; mais devant un ennemi extérieur, ces distinctions et ces réserves sont-elles encore possibles ? Nous, France, tandis que nous sommes dans la capitale d’un ami que nous protégeons, pouvons-nous honorablement permettre à un étranger d’entrer sur le territoire de cet ami pour se l’approprier ? Cette intrusion d’un tiers n’altère-t-elle pas toutes les limitations que nous mettions au sens de notre intervention dans les circonstances antérieures ? Le sens des mots ne change-t-il pas par la force des choses ? Dire alors que l’on circonscrit son intervention dans une certaine limite, n’est-ce pas en fait autoriser en quelque sorte l’invasion de l’agresseur jusqu’à cette limite ? N’est-ce pas se rendre responsable de la spoliation à laquelle on assiste ? Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur le pouvoir temporel du pontife, nous disons que, la France étant avec ses troupes dans la capitale des états de l’église, l’invasion du Piémont nous crée une situation intolérable et met notre honneur à la torture. Si cette situation se reproduisait ailleurs qu’à Rome, pourrait-il y avoir le moindre doute sur le parti que la France devrait prendre ? Si nous étions à Bruxelles en amis et en protecteurs, pourrions-nous souffrir qu’un corps hollandais ou qu’une armée prussienne vînt occuper et démembrer sous nos yeux la Belgique ? Si nous avions des troupes à Turin et qu’une armée autrichienne vint sans provocation s’abattre sur la Lombardie, croirions-nous satisfaire à notre dignité en disant : Nous ne permettrons pas aux Autrichiens de chasser le roi de sa capitale, et en les laissant occuper les provinces ? Il suffit de poser de telles hypothèses pour montrer la nature de l’embarras que les Piémontais nous ont suscité. Faut-il entrer dans les raisons que les Piémontais allèguent, ou que l’on présente en leur nom ? La question, nous dit-on, est de savoir qui l’emportera de M. de Cavour ou de Garibaldi. C’est moins contre le pape que contre Garibaldi que l’invasion des états pontificaux a été entreprise. En dépouillant le saint-père, M. de Cavour accomplit une sorte de coup d’état conservateur, car, s’il réussit, il met un frein à la révolution. En battant les troupes du pape et en canonnant Ancône, le Piémont fait preuve du prix