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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/762

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La musique des guides accompagnait cette multitude de chanteurs populaires : Des toasts, des discours semi-politiques, dont l’un a été prononcé par M. Paxton, membre de la chambre des communs, ont fait ressortir l’importance de cette fête paisible de l’art, qui pourrait être considérée comme un nouveau gage de l’alliance nécessaire des deux grandes nations de l’Occident. À Bâle, à Mulhouse, à Poitiers, dans plusieurs villes de l’Allemagne et des bords du Rhin, il y a eu aussi des fêtes, des chants, des réunions musicales de toute nature, A Bade, ce rendez-vous de la fashion de l’Europe, on a fait, comme toujours, beaucoup de musique. M. Gounod y a même composé expressément un opéra sous le titre de la Colombe, qui a été accueilli assez froidement, et ne semble pas avoir répondu à l’attente du public d’élite qui en a eu les prémices. Il était cependant chanté par M. Roger, Mme Carvalho et Mlle Faivre.

Nous voudrions bien pouvoir tirer une conclusion de l’ensemble des faits réunis dans cette chronique, et cette conclusion, nous croyons la trouver dans un phénomène curieux sur lequel nous désirons attirer l’attention du lecteur. N’est-il pas singulier qu’au moment où l’esprit de nationalité semble se réveiller de toutes parts, au moment où chaque peuple aspire à revendiquer le droit de vivre conformément aux lois de son génie et aux tendances de sa tradition, nous voyions se produire dans l’économie des théâtres lyriques de l’Europe des combinaisons étranges qui semblent en opposition directe avec la marche de l’esprit politique ? Ainsi, pendant que l’Opéra de Paris est desservi depuis une dizaine d’années par des cantatrices italiennes, comme l’Alboni, Mmes Tedesco, Borghi-Mamo et les Marchisio, qui savent à peine la langue du peuple délicat qu’elles doivent charmer, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et la Russie sont remplies de chanteurs français qui se font passer et qu’on accepte pour des virtuoses italiens. Pendant que M. Roger chante en allemand à la grande satisfaction, assure-t-on, du public de Hambourg et de Vienne, l’Opéra de Paris fait venir un ténor de Dresde, M. Niemann, pour créer le premier rôle dans un opéra très allemand, d’un mérite contesté, le Tannhauser de M. Richard Wagner, qu’on traduit expressément pour charmer les loisirs de ce bon peuple français qui croit avoir encore quelque chose de l’esprit gaulois. Le Théâtre-Italien de Paris, dirigé par un Espagnol, et qui est rempli de Bas-Bretons et d’Auvergnats habillés à la mode de Naples et de Florence, nous donnera probablement cet hiver l’agréable opérette de Martha chantée par Mlle Battu, qui est aussi Italienne que la musique de M. de Flottow, pendant que les Marchisio chanteront à l’Opéra les inspirations de quelque prince de la confédération germanique. M. Faure, de l’Opéra-Comique, Mlle Poinsot, qui a longtemps chanté faux à l’Opéra, Mme Castellane, qui n’a jamais chanté juste, une foule de petites élèves du Conservatoire couronnées par M. Auber s’en vont par le monde, sous des noms supposés, vendre au poids de l’or leurs voix aigrelettes qu’elles font passer pour des voix italiennes, comme on vend aux Américains et aux cosaques du Don du vin de Champagne fabriqué à Francfort ! Mais le comble de toutes ces transmutations, c’est ce qui vient de se passer sur le grand théâtre de l’Opéra de Berlin. Mme Carvalho, une Française s’il en fut jamais, a chanté en italien le rôle de Rosine du Barbier