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Voilà mon libre et légitime témoignage. Et de plus, les choses que je sais par l’esprit de tradition, par l’esprit de justice et d’intelligence, ces choses-là, je les veux d’une volonté inébranlable, et elles seront par l’esprit de force morale, par nécessité suprême et divine autorité. »

Tout ce qui a été fait de grand dans le monde a été fait au nom d’espérances exagérées, et le peuple juif a des côtés si étranges qu’il ne faut jamais légèrement parler de lui. Cependant il est des passés si glorieux qu’ils excluent jusqu’à la pensée d’un avenir. Comment parler de l’avenir d’Athènes ? Quel destin pour la Grèce ne sera pas obscur, si l’on songe à ce qu’elle a été ? Pour le même motif, je n’admets guère qu’à propos des Juifs on parle d’autre chose que de ce qu’ils ont fait. Depuis Jésus-Christ, les Juifs, selon moi, n’ont servi qu’à conserver un livre. Du jour où ils ont transmis la Bible hébraïque à la science européenne, du jour où ils ont appris l’hébreu à Luther et aux Buxtorf, ils n’ont plus rien eu d’essentiel à faire. Certes, depuis ce temps-là, le judaïsme a donné au monde une remarquable proportion d’hommes excellens, distingués ou même de premier ordre ; mais c’est là un privilège qu’il partage avec toutes les églises peu nombreuses. Ces petites églises deviennent, par la force des choses, des aristocraties où la lumière se fait plus promptement jour, et où la routine et les préjugés sont plus faciles à percer.

Tout en admirant autant que M. Salvador le rôle du peuple juif dans le passé, je ne puis donc partager ses vues sur le rôle qu’il lui attribue dans l’avenir. Je crois à une réforme du christianisme ; mais cette réforme ne consistera pas à revenir au judaïsme. En général, M. Salvador ne se fait pas une idée suffisante de la forte originalité du christianisme pris dans son ensemble. Je persiste à penser, malgré quelques vives répliques[1], que le christianisme n’est pas la continuation du judaïsme, mais bien une réaction contre l’esprit dominant du judaïsme opérée dans le sein du judaïsme lui-même. Quelles qu’aient été à cet égard les vues du fondateur, il faut bien reconnaître que l’attitude de saint Paul, et plus encore la direction qui prévalut dans les églises primitives, ne prêtent à aucune équivoque. Le judaïsme fournit le levain qui provoqua la fermentation, mais la fermentation se fit hors de lui. L’élément hellénique et romain d’abord, puis l’élément germanique et celtique prirent complètement le dessus, s’emparèrent exclusivement du christianisme, et le développèrent dans un sens fort différent de ses origines premières. Schleiermacher et l’école catholique de Munich, M. Lassaulx par exemple, sont dans le vrai quand ils proclament.que Socrate et Platon

  1. Tome Ier, pages 90 et suivantes.