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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/784

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beaucoup plus sur la liberté que l’église dépendante de Rome. Mieux vaut le pape que l’empereur théologien de Byzance ou de Moscou. On connaît ces superbes paroles : « J’allais relever le pape outre mesure, l’entourer de pompe et d’hommages. Je l’eusse amené à ne plus regretter son temporel. J’en aurais fait une idole. Il eût demeuré près de moi ; Paris fût devenu la capitale du monde chrétien, et j’aurais dirigé le monde religieux ainsi que le monde politique. C’était un moyen de resserrer toutes les parties fédératives de l’empire et de contenir en paix tout ce qui demeurait en dehors. J’aurais eu mes sessions religieuses comme mes sessions législatives. Mes conseils eussent été la représentation de la chrétienté ; les papes n’en eussent été que les présidens. J’aurais ouvert et clos ces assemblées, approuvé leurs décisions, comme l’avaient fait Constantin et Charlemagne. » Je ne connais pas de danger plus grave que celui qu’impliquait ce programme. Les pays d’administration et de centralisation sont ceux où une église nationale produit les effets les plus fâcheux. Pie V et Philippe II n’ont pas arrêté l’esprit moderne ; le despotisme administratif l’arrêterait. Celui-ci en effet n’a pas besoin d’être violent, Des brutalités comme celles qui avaient lieu en Judée du temps de Ponce-Pilate, à Rome sous Néron, en Europe au XVIe siècle, ne sont plus à craindre. Et pourtant la liberté que suppose la fondation du christianisme et de la réforme n’existe plus ; de simples règlemens de police correctionnelle ont rendu ces grandes apparitions impossibles. M. Michelet a très bien montré comment la persécution des habiles administrateurs sortis de l’école de Colbert, lesquels n’aimaient guère le clergé, a bien plus frappé au cœur ses victimes que la grossière cruauté de l’inquisition espagnole Quand l’état met la main sur l’âme, cette main est toujours bien plus lourde que celle du prêtre. Le prêtre n’empêche rien de se produire ; l’état, avec sa douceur prudente et son système préventif, arrête toute grande initiative. Je ne vois pas une seule vie de saint ou de grand homme dans le passé qui, de nos jours, ne fût une contravention perpétuelle. Nos lois sur l’exercice illégal de la médecine, sur les réunions, sur l’autorisation préalable en fait de culte, auraient suffi pour couper court aux deux ou trois événemens auxquels le monde doit sa vie et son progrès.

La France est fière de son concordat, et en effet le concordat est bien le dernier mot de la révolution dans l’ordre religieux, comme le code civil est son dernier mot dans l’ordre politique. Il a le caractère de tout ce qui est sorti de la révolution : essentiellement administratif, il témoigne une remarquable entente de ce qui fait la force et la paix d’une nation, mais en même temps un singulier oubli de la liberté, un mince respect pour la conscience individuelle, et une complète méconnaissance du côté moral de l’homme. Le concordat se résume en ce mot qu’on prête à Portalis : « Régulariser et resserrer