Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivant pour la plupart dans le cercle un peu étroit d’un département. La population française apprendrait à son tour ce qu’elle ignore trop, faute du témoignage des institutions : elle saurait que les colonies, après avoir été des conquêtes et des possessions lointaines, sont devenues, à l’instar des îles éparses au voisinage de notre littoral, des parties intégrantes du territoire français. Ainsi dotées, les nôtres n’auraient pas à regretter les attributions politiques des parlemens coloniaux de l’Angleterre, dont le rôle administratif revivrait dans les conseils-généraux.

Aujourd’hui nommés en partie par le pouvoir, en partie par les conseils municipaux, que compose le pouvoir lui-même, ces corps ne sont qu’à un degré très incomplet les gardiens et les gérans des intérêts collectifs. La part de bien qu’ils pourraient faire, en éveillant et fortifiant l’esprit public, se perd dans le secret absolu de leurs délibérations. En France, en Algérie même, si les séances ont lieu à huis clos, du moins les procès-verbaux peuvent être publiés, et ils le sont presque partout ; dans nos colonies, ces importans documens restent inaccessibles à toute étude : les administrés ne savent de l’administration que ce que leur en apprennent les gouverneurs. Est-ce avec d’aussi humbles allures que ces corps peuvent acquérir le prestige et l’autorité qui retiennent des hommes de mérite par le charme de l’ambition satisfaite, et peuvent fonder ces grandes existences de famille, honneur et lumière d’une société ? Plus les Antilles sont affaiblies par l’absentéisme, par la tiédeur du patriotisme local, plus il convient de ranimer l’amour du pays natal et les dévouemens qu’il inspire par la sérieuse constitution des conseils municipaux à la base de l’édifice colonial, — des conseils-généraux au centre, — de la représentation parlementaire au sommet.

Ainsi se retrempera la vie morale des générations nouvelles, loin de ces luttes douloureuses où s’épuisèrent leurs aînées. Ainsi se consolidera, par l’union des cœurs et des bras, la puissance défensive des colonies, et s’accroîtront, par l’essor des transactions, les profits qu’elles procurent à la métropole. Celles-ci, en accordant à ses filles légitimes, quoique cadettes ce qui est la condition fondamentale de toute prospérité solide et durable, la liberté administrative, politique, commerciale, relâchera les liens de sa jalouse tutelle sans craindre que ces mineures, tardivement émancipées, abusent de leur virile maturité. Pourquoi s’inquiéter ? Serait-il donc vrai que les colons manquent d’initiative et d’élan, qu’ils ne peuvent marcher qu’en s’appuyant sur le bras de l’autorité ? L’histoire entière de nos colonies, celle des Antilles particulièrement, proteste contre cette injure faite à la race française par les théoriciens du pouvoir absolu. Dans les premiers armemens et les premières aventures qui