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d’idées. Quand on veut la liberté individuelle, la liberté religieuse, la liberté de la presse, la liberté de la tribune, la responsabilité dans le gouvernement et l’indépendance de la justice, on est du parti libéral ; mais on peut disputer entre soi sur les raisons qu’on a d’en être. Qu’a-t-on d’ailleurs de mieux à faire que de s’exercer l’esprit ?

La philosophie politique a paru tendre à de certaines heures à supprimer, ou peu s’en faut, le gouvernement. Témoins sévères des fautes ou des méfaits de certains pouvoirs, las de leur obstination à méconnaître, à négliger, à contrarier le vœu ou l’intérêt général, des publicistes ont érigé en système un mécontentement fondé, et, jugeant de l’arbre par ses fruits, ils ont proposé de l’arracher, même ils ont douté qu’il fût à propos d’en replanter un nouveau. S’ils n’ont pas toujours osé regarder le gouvernement comme une superfluité dangereuse, ils ne l’ont accepté qu’à titre de mal nécessaire, et, forcés de le souffrir, ils ont conseillé de le traiter en ennemi. À leurs yeux, tout ce qu’on pouvait lui enlever était de bonne prise. Jamais il ne pouvait être trop faible, trop intimidé, trop décrié. Parce qu’une société qui se conserverait absolument livrée à elle-même serait plus parfaite, on a jugé que la société réelle serait d’autant mieux organisée qu’elle le serait moins. Ce sont surtout les économistes qui ont résolu la question du meilleur gouvernement par une négation. L’ingérence souvent malheureuse de l’administration dans les matières de commerce et d’industrie leur a donné en toute chose une mauvaise idée de la réglementation. Partout où ils l’ont reconnue, ils l’ont proscrite ; or, partout où le gouvernement met le pied, il réglemente. Leur doctrine a pour elle des autorités respectables, celle entre autres de l’auteur du Traité des Harmonies économiques.

Quoi qu’on pense du système, on avouera qu’il n’a pas fait chez nous de grands ravages ; le pouvoir n’y manque de rien. Cependant la théorie qui, par réaction, irait jusqu’à dégrader ou même annuler le gouvernement n’en serait pas moins fondée sur une erreur grave, celle de supposer un antagonisme fondamental entre le pouvoir et la société. La société n’a son existence, ou du moins la garantie de son existence, que dans l’état, et les coups qui frapperaient l’état retomberaient sur elle. On a raison de penser que l’homme sans la société est une triste chimère, et que la société sans autre gouvernement que sa raison et sa vertu est une noble chimère. La cité de Dieu elle-même n’est ni sans loi ni sans maître, tant Aristote a eu raison d’appeler l’homme un animal politique. Toutefois si les fautes des gouvernemens ont produit cette thèse excessive qui de leur perversité conclut à leur anéantissement, il faut prendre garde que la thèse opposée ne soit exagérée par la crainte des maux de l’anarchie. Hobbes s’est formé au spectacle des révolutions. On a pu d’un