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difficilement accessibles et protégées par d’âpres et tortueux défilés, à travers lesquels la justice nationale ne pouvait trouver son chemin, a maintenu plus longtemps qu’ailleurs un régime qui semblait enraciné dans le roc. Les Écossais appartiennent en outre à la souche celtique ou gauloise, qui se distingue surtout des divers rameaux de la famille saxonne par l’esprit remuant et belliqueux. Dans la vieille Calédonie, jusqu’au commencement du dernier siècle, tout homme était soldat ; il prenait fait et cause dans les guerres qui intéressaient les rivalités politiques de la nation, et même, lorsqu’il ne trouvait plus d’ennemis chez lui, il en allait chercher au-delà des mers. L’empire de la loi civile a certainement modifié cet état de choses ; mais les germes de l’ancien caractère martial subsistent encore sur les rudes montagnes de l’Ecosse. De son temps, le docteur Johnson donnait avec un grand sens le conseil de respecter ces germes, de ne point trop amortir cet esprit vaillant et chevaleresque dont la civilisation suffit aujourd’hui à limiter les excès. Il se demandait si, le courage étant nécessaire pour conserver les états et pour couvrir comme d’un bouclier la prospérité du commerce et de l’industrie, il ne convenait pas d’entretenir dans quelques provinces éloignées du centre cette ardeur héroïque des anciens temps qui s’affaiblit dans les sociétés avec les progrès du travail et de l’économie politique. Quel pays est, sous ce rapport, mieux situé que l’Ecosse pour devenir une terre nourricière de soldats ? À une telle distance, le courage personnel peut s’exercer sans troubler les intérêts ni le repos du royaume, et l’on peut du moins l’évoquer du haut de ses montagnes toutes les fois que l’exigent les circonstances. Sans doute cet instinct de la lutte n’est pas encore l’esprit militaire, mais il le devient en se soumettant à la discipline et en revêtant l’idée du devoir. C’est ce qui arrive tous les jours aux recrues écossais, lesquels se distinguent, une fois au service, par un air persistant d’indépendance et de fierté nationale.

L’armée anglaise admet aussi un certain nombre d’étrangers. Marchant un jour dans les rues de Woolwich, je rencontrai sous l’uniforme britannique un Français qui me raconta son histoire. Il avait été frère de la doctrine chrétienne dans un département de la Bretagne. Se sentant peu de vocation, il s’était sauvé à dix-huit ou dix-neuf ans d’un établissement religieux dirigé par l’abbé de Lamennais, frère de l’auteur des Paroles d’un Croyant, et s’était embarqué pour l’Angleterre, où, n’ayant rien de mieux en vue, il avait fini par s’enrôler comme soldat. Il servait depuis deux années, et je dois avouer qu’il ne paraissait point très fier du succès de son escapade. Ce qui le désolait, c’était la médiocrité de sa taille, qui, d’après les usages de l’armée britannique, devait, disait-il, lui fermer toute espérance d’avancement. « Si du moins j’avais un pied de plus, je