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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/925

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régimens. Une partie de ces objets d’art a été laissée à titre de souvenirs par de riches officiers qui se retiraient du service. Ajoutez à cela une chère exquise, des vins fins et recherchés, dont les bouteilles circulent nonchalamment couchées sur un petit chariot d’argent, surtout quand il s’agit de faire honneur à un étranger. Le train domestique est à l’avenant : je parle des chevaux des chiens, des habits de ville (car les officiers anglais ne portent l’uniforme que quand ils sont de service), des spectacles, des plaisirs de toute sorte[1]. Dans la plupart des casernes, les officiers donnent en outre des bals somptueux auxquels ils invitent la fleur de l’aristocratie. Il est aisé de deviner, d’après ce genre de vie, que les commissioned officers dépassent de beaucoup les limites de leur traitement ; ils s’appuient sur leur fortune personnelle et sur les libéralités de leur famille. L’armée est moins une carrière lucrative qu’une carrière honorable, dans laquelle les jeunes gens de naissance trouvent le moyen de satisfaire leurs goûts et d’acquérir de la considération en rendant service à leur pays. Quelle triste figure ferait au milieu de ce monde doré l’humble et rude sous-officier obligé de vivre sur la solde d’enseigne ou de cornet ? J’ai lu dans un récit anglais que, lorsqu’un roi de l’Inde en voulait à un grand seigneur, il lui faisait cadeau d’un éléphant blanc. La distinction attachée à cette faveur royale exige en effet que l’animal se nourrisse de l’orge la plus fine et des meilleurs fruits, de telle sorte qu’après un certain temps le grand seigneur ruiné se voit réduit à la nécessité de vendre ses domaines. Les intentions du gouvernement anglais sont à coup sûr bien différentes des vues du monarque barbare : le sous-officier n’en a pas moins de très bonnes raisons pour envisager la commission qui lui est offerte comme un honneur calamiteux et, pour tout dire, comme un éléphant blanc qui dévorerait la substance du maître. Il est permis de regretter sous certains rapports cette forte division de l’armée anglaise ; mais au point de vue stratégique elle ajoute plus qu’on ne croit à la valeur des troupes. Habitué à regarder les officiers comme des êtres supérieurs, le soldat les suit avec une sorte de vénération enthousiaste et rougirait de ne point s’exposer lui-même toutes les fois qu’ils s’exposent au danger. Or ce n’est pas, on le sait, le courage qui manque aux officiers anglais. Par une sorte de contraste propre au caractère national, ces mêmes hommes qui vivent chez eux dans le luxe et les délices de Capoue sauront au besoin se priver du nécessaire et se réduire aux conditions les plus dures. Lors de la campagne de Crimée, on a vu des officiers se faire

  1. Un jeune officier de Chatam me parlait dernièrement d’acheter un steamer pour se promener sur la Medway.