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inventées. J’en dirai autant de la physionomie générale et du maintien de son style. Ce style est vraiment un peu trop maître de son visage, car il a gardé le même aspect depuis la première page du livre jusqu’à la dernière. L’auteur a commencé le livre avec un sourire, et il a gardé ce sourire sur les lèvres jusqu’à la fin, ce qui est un peu contraire aux lois de la nature, le sourire étant de toutes les expressions de l’âme la plus fugitive, et celle dont le visage se lasse le plus vite. Voilà les défauts du livre de M. Cherbuliez, défauts qui ne proviennent peut-être que d’une trop grande préoccupation d’être attique en parlant d’Athènes.

Le cadre imaginé par l’auteur est des plus simples et peut être décrit en quelques mots. Une marquise française, le cœur partagé entre une passion extravagante qu’elle ressent avec une exaltation fort rassurante et une passion raisonnable contre laquelle elle se défend sans trop de luttes, est venue chercher à Athènes des distractions capables de dissiper les ennuis qui l’obsèdent si doucement et d’écarter les soucis qui la rongent avec tant de discrétion. À Athènes, elle vit entourée d’une société d’originaux fort aimables vraiment, et qui seront trop heureux de travailler à distraire cette jeune femme qui ressemble un peu trop à une marquise de ces proverbes mis à la mode par Alfred de Musset. Il n’est rien que ces originaux ne consentissent à faire pour l’amuser, fallût-il forcer leur originalité et se transformer en bouffons. Ils ne craindront pas de se livrer aux cabrioles les plus extravagantes de la métaphore pour arracher à la marquise un lazzi qui retombera droit sur leur tête, ou d’ajouter une légère emphase à leur éloquence pour lui donner une minute de colère stimulante, ou lui fournir l’occasion d’une aimable impertinence. Cette société se compose du médecin de la marquise, qui, sachant de science certaine que la santé de l’âme importe fort à la santé du corps, attache des grelots à ses discours pour chasser les ennuis de sa malade ; d’un chevalier polonais érudit et curieux, savant en matière d’équitation grecque et s’exprimant dans un style plein d’évanouissemens ; d’un jeune artiste vénitien, presque un enfant, Nanni, joli garçon au cœur susceptible, qui, puisant ses inspirations dans les beaux yeux de la marquise, parle comme un des jeunes hommes de Platon ; enfin d’un abbé espagnol nommé l’abbé Léontocéphale à cause de ses yeux pleins de feu et de sa physionomie énergique. Cet abbé excentrique, outre son bréviaire officiel, en porte toujours dans sa poche un second, qu’il s’est composé avec des feuillets détachés de Platon, de sainte Thérèse, de Fénelon et de Spinoza. Voilà un abbé qui nous plaît fort, et s’il est encore vivant, nous demanderions volontiers à faire sa connaissance, la composition de ce bréviaire étant le témoignage d’une âme vraiment faite pour comprendre la religion