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à la ronde où l’on ne connût Francion. Il lui arriva un matin, à l’heure où les gens de son métier quittent l’affût, de rencontrer une vieille femme qui portait un fagot de bois mort. Elle gémissait et s’arrêtait à chaque pas. Francion prit le fagot, jeta par-dessus le gibier mort, et gaillardement suivit la vieille. Il entra dans une chaumière, tout attristé déjà du récit que lui avait fait sa compagne chemin faisant. Il y trouva deux enfans malades, couchés dans un lit, et un morceau de pain dur sur le coin d’une table. Le maître, rongé par la fièvre et assis auprès d’un maigre feu, pouvait à peine se tenir sur ses jambes. C’était son gendre que la vieille avait recueilli par charité. Francion se sentit le cœur remué. La débauche ou la paresse n’avait point de part à cette misère. Il prétexta une grande fatigue pour ne pas aller plus loin, fit venir du pain blanc, un morceau de viande et une bonne bouteille de vin de la ferme voisine, déjeuna avec la vieille en ayant soin de ne pas manger beaucoup pour que le déjeuner servît encore au dîner, et promit de revenir bientôt. Ce jour-là, le gibier du roi fut vendu, et pendant quinze jours Francion ne goûta guère aux faisans. Le produit de ses chasses alimentait la vieille et sa famille ; il en restait encore assez pour acheter une couverture, des sabots, quelques vêtemens et divers ustensiles dont les hôtes de la cabane avaient grand besoin. Jamais Francion n’avait tiré plus juste, jamais il n’avait eu les jambes plus alertes. Le hasard voulut que cette pauvresse fût la nourrice d’un grand garçon qui l’aimait tendrement, et qu’un long voyage avait momentanément éloigné du pays. Ce grand garçon n’était autre que M. Olivier de Savines. Le garde-général ramena l’abondance chez la mère Simone, qui, à vrai dire et grâce au braconnier, ne manquait plus du nécessaire. La première fois que M. de Savines rencontra Francion, il l’embrassa, quoi que fît celui-ci pour s’en défendre. — La belle affaire ! disait-il ; pour quelques méchantes bêtes !… C’est bien la peine de me remercier…

— Bon ! bon ! répliqua Olivier, nous nous retrouverons, et s’il plaît à Dieu, vous verrez que j’ai la mémoire longue.

Une occasion se présenta bientôt d’en faire l’expérience. Les gendarmes surprirent Francion à l’affût, un fusil à la main. Déjà l’amende et la prison le menaçaient. Informé de ce qui se passait, M. de Savines intervint, et il s’employa si bien qu’il réussit à tirer le braconnier des griffes de la justice. La chose faite, M. de Savines eut le bon esprit d’épargner à Francion les remontrances auxquelles celui-ci s’attendait. — Prenez garde, et ne vous mettez plus en faute, lui dit-il seulement ; mais si par hasard il vous arrivait malheur, songez à moi… J’ai des amis qui agiront pour vous,

— C’était une sotte affaire, ajouta Francion en finissant ; j’aurais