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— Peut-être, répondit Marthe, qui l’embrassa doucement ; chacun d’ailleurs aime à sa manière.

Elle tendit la main à Olivier, se jeta dans la voiture, et Francion fit claquer son fouet.

La dame chez laquelle Marthe se rendait recevait beaucoup de monde. Le mouvement n’est pas toujours la gaieté, il y supplée quelquefois. Mlle de Neulise comprenait aussi qu’elle ne pouvait pas reconnaître les bontés de son hôtesse par des airs mélancoliques ; elle mit donc une grande bonne volonté à subir l’influence du milieu qu’elle avait choisi, et y réussit en partie. Si elle ne parvint pas à s’amuser dans le sens littéral du mot, elle parvint à distraire sa pensée ; elle se raffermissait dans sa résolution, et si, cherchant en esprit les moyens de rapprocher Olivier de Marie, elle arrivait à la fin d’une journée sans larmes et sans trop de déchiremens, elle s’en réjouissait comme d’un progrès : elle appelait cela la convalescence de son cœur.

Quand Mlle de Neulise reparut à La Grisolle, elle trouva sa sœur pâlie ; M. de Savines était absent. Marie avait les mains brûlantes, la fièvre dans les yeux. — Pourquoi ne m’as-tu pas écrit ? s’écria Marthe.

— À quoi bon ? Tu dansais, répondit Marie.

Ce fut comme si un dard eût traversé le cœur de Marthe ; elle éclata, mais sans violence, et passant ses bras autour du cou de sa sœur : — Ah ! Marie, que dis-tu ? s’écria-t-elle.

Elle ne put pas aller plus loin ; les sanglots la suffoquaient. Marie eut peur de l’état dans lequel elle voyait Marthe : elle l’embrassa à plusieurs reprises. — Que t’ai-je fait ?… Pourquoi pleures-tu, toi qui ris toujours ? dit-elle.

Marthe ouvrit la bouche ; elle craignit que son secret ne lui échappât. — Laisse-moi pleurer, reprit-elle, ce n’est rien… Je croyais que tu étais heureuse… S’il faut encore te voir malade,… ah ! c’est trop !

Elle se tut tout à coup ; la pente était glissante : Marie, qui l’observait, pouvait tout deviner. Marthe lui passa la main sur les cheveux, comme une mère qui caresse sa fille, et souriant au milieu de ses larmes : — Va, j’étais bien seule loin de La Grisolle, dit-elle.

Marie, ranimée tout à coup, se serra contre elle. — Le monde ne t’a donc pas fascinée ? reprit-elle. Es-tu bien guérie maintenant ? J’ai tant souffert sans toi.

— Sois tranquille, dit Marthe, je ne te quitterai plus.

La santé de Marie était plus profondément altérée que Marthe ne l’avait cru d’abord ; elle la pressa de questions et finit par apprendre qu’il était question dans le pays du mariage de M. de Savines. Un