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l’hypocondrie d’un roi qui n’avait plus rien de l’humeur française, qui n’avait eu qu’un éclair dans le combat dont sa couronne était le prix, et qui était fait réellement pour être subjugué. Blême de visage, terne d’esprit et indécis de volonté, mangeant énormément, chassant beaucoup, doué d’un tempérament effréné et chaste par timidité autant que par scrupule, Philippe V avait tout ce qu’il faut pour être conduit par une femme et par un ministre. La première femme de Philippe était une princesse de Savoie, Marie-Louise-Gabrielle, fille de Victor-Amédée, sœur de cette spirituelle et piquante duchesse de Bourgogne qui savait dérider la vieillesse chagrine de Louis XIV. Elle n’avait que quatorze ans quand elle arriva en Espagne en 1701. C’était une princesse à la taille svelte et élancée, aux yeux grands et doux, pâle de teint, avec une bouche petite, des dents blanches et irrégulières, ayant dans toute sa personne, comme sa sœur, plus de séduction que de beauté. Elle traversa ce temps de guerre et cette cour maussade comme une vision fière et charmante. Deux fois régente, pendant que le roi était en Italie ou au siège de Barcelone, conseillée par la princesse des Ursins, elle animait tout autour d’elle, elle popularisait la dynastie nouvelle par sa grâce et même quelquefois par son héroïsme, témoin le jour où, menacée dans Madrid par l’approche des armées alliées et pressée de partir, elle répondait à ses conseillers pusillanimes : « Attendons l’ennemi! Si nous sommes vaincus, j’irai dans les Asturies, je prendrai l’infant dans mes bras, et je relèverai la monarchie là où elle eut son berceau! » Cette aimable et courageuse princesse régna treize ans sur les sens et sur l’esprit du roi, à qui elle donna trois enfans, et elle mourut en couches en 1714, dans toute sa jeunesse, lorsque les cruelles épreuves étaient passées. Si elle ne fût pas morte, si la duchesse de Bourgogne eût vécu aussi en France, et surtout si elle eût régné, la politique eût changé peut-être, un lien plus étroit aurait pu réunir la France, l’Espagne et le Piémont.

La seconde femme qu’on se hâta de donner au roi Philippe, pour calmer les exigences ou les scrupules de sa chasteté tourmentée, était d’un tempérament plus solide. Elisabeth Farnèse n’était pas tout à fait cette bonne Lombarde, nourrie de fromage, que la princesse des Ursins croyait avoir choisie à merveille pour la diriger. Le premier usage qu’elle fit de son autorité de reine en entrant en Espagne fut, on le sait, de chasser de la cour Mme des Ursins elle-même. Dès ce moment, elle n’eut plus qu’une pensée, celle de s’emparer de Philippe, de le dominer, et elle y réussit entièrement. C’était une femme de nature robuste, suivant le roi à la chasse, médiocre d’intelligence, passionnée, violente et altière, détestant à peu près les Espagnols, qui le lui rendaient bien. L’ambition était peut--