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cile, fondit le 11 août 1718 sur la flotte espagnole et lui infligea un irrémédiable désastre. D’un autre côté, les nuages s’amassaient en Europe au point de former bientôt un formidable orage contre l’Espagne. La triple alliance dont on avait signé les préliminaires au commencement de 1718 s’achevait au mois d’août, et devenait la quadruple alliance par l’accession de la Hollande. Ce qui n’avait été jusque-là qu’une idée discutée et agitée par la diplomatie devenait un système arrêté, qui consistait, je l’ai dit, à donner la Sicile à l’empereur, la Sardaigne à Victor-Amédée de Savoie, Parme et la succession éventuelle de la Toscane à un fils de la reine Elisabeth d’Espagne. Cette combinaison fut notifiée à la cour de Madrid, qui eut trois mois pour l’accepter. Ce n’était plus une négociation qu’on offrait à l’Espagne, c’était une sommation qu’on lui adressait l’épée tendue : le cardinal la reçut avec une dédaigneuse hauteur, s’acharnant à une lutte désormais inégale. En peu de temps, Alberoni vit s’évanouir tous ses songes d’ambition et de gloire; il vit se briser entre ses mains tous les fils de ce réseau d’agitations et d’intrigues dans lequel il croyait avoir enveloppé l’Europe pour se donner toute liberté. Il avait fomenté des complots en France contre le régent, ces complots étaient surpris et déjoués. Il avait préparé une descente en Écosse au nom du prétendant anglais, cette descente ne réussit pas. Il avait rêvé d’attirer Charles XII de Suède contre l’Allemagne, et ce prince était tué dans les tranchées d’une place de Norvège. Tout manquait à la fois.

Le réveil était terrible pour l’Espagne; la guerre était partout. Les Espagnols continuaient à se battre en Sicile, et commençaient à compter plus de revers que de succès. Les Anglais tenaient la mer, débarquaient de vive force à Vigo, et s’emparaient de Saint-Sébastien. Une armée française paraissait sur les Pyrénées. La coalition se resserrait de tous côtés autour de l’Espagne. Alors Alberoni, sans cesser de faire face à l’orage, se trouva dans une de ces situations extrêmes où sont quelquefois les favoris de la fortune, réduits à vaincre ou à périr, et exposés à payer dans tous les cas d’une chute éclatante une grandeur éphémère. Le cardinal d’ailleurs avait amassé contre lui des haines implacables. Il avait profondément offensé les Anglais par ses réclamations injurieuses et hautaines au sujet de l’action navale de l’amiral Byng. Il s’était fait un ennemi irréconciliable du régent de France, dont il avait cherché à ébranler le pouvoir. Pour le pape, c’était l’agresseur d’un prince chrétien occupé à combattre les Turcs; pour l’empereur, c’était l’envahisseur de la Sardaigne et de la Sicile; pour tous, c’était le perturbateur public, le seul obstacle à la paix. Le dernier coup lui fut porté par un envoyé du duc de Parme qui arriva à Madrid, et qui était