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tout prouve qu’à Berlin et à Vienne l’on a en ce moment une déférence marquée pour les conseils de l’Angleterre. On ne saurait sans doute, attribuer à la cour de Saint-Pétersbourg un empressement aussi prononcé envers le gouvernement britannique : il y aurait pourtant une dangereuse duperie à croire que les rancunes et les antipathies que la guerre d’Orient a laissées ou réveillées élèvent encore une barrière bien épaisse entre l’Angleterre et la Russie. L’Angleterre voit donc s’accomplir en ce moment en Europe ce qui lui convient et ce qui lui plaît. La trame des intérêts, des craintes, des rivalités, est ainsi croisée entre les divers états continentaux que l’Angleterre pourrait y trouver parmi ces états des alliances conformes aux nécessités de sa politique. Enfin, et c’est là le côté consolant de cette situation pour ceux qui, dans les compétitions internationales, n’oublient pas les intérêts supérieurs de l’humanité, l’Angleterre emploie ce grand ascendant, que lui donnent les fautes de tous et les événemens actuels, à protéger, on pourrait presque dire à imposer la conservation de la paix européenne.

Nous avons peu de chose à dire de la situation de la France. Avant tout, ce que nous avons pour nous, c’est notre puissance, c’est notre gigantesque armée, notre entrain militaire, et cette richesse du sol qui élève les ressources du pays au niveau de sa force guerrière. La puissance est d’un merveilleux secours contre les embarras d’une position fausse ; elle permet de détourner ou de surmonter de périlleuses difficultés. Nous devons reconnaître pourtant qu’elle ne les supprime pas. C’est ce que l’on a, suivant nous, un peu trop perdu de vue dans un récent article de journal où l’on s’est accordé à reconnaître un manifeste de gouvernement. Il manque deux choses à ce manifeste : il ne signale pas assez nettement les embarras de notre situation, il ne nous dit pas clairement où nous nous proposons d’aller. Nous avions compris nous-mêmes, en définissant les diverses conduites qui étaient possibles en présence des plus récens événemens italiens, quelle était celle que choisissait le gouvernement français. On pouvait soit s’associer à ces événemens, soit s’y opposer, soit les soumettre au jugement concerté de l’Europe. L’article dont nous parlons, adoptant la formule doctrinaire, nous a déclaré ce que le gouvernement ne voulait pas faire ; mais il ne nous a pas dit ce que le gouvernement ferait. L’appel au jugement de l’Europe n’équivaut en effet qu’à une politique de temporisation et d’attente, et, comme nous l’avions pressenti, l’idée d’un congrès, lors même qu’elle serait acceptée théoriquement par les diverses puissances, ne pourrait être dans les circonstances actuelles qu’un moyen dilatoire, une contenance, et n’est point une solution. — Mais, nous dira-t-on, il y a des conjonctures en face desquelles il n’y a d’autre politique possible que la temporisation, où le seul bon parti est d’attendre que les événemens eux-mêmes vous inspirent ou vous imposent une politique. Nous sommes loin de le nier : seulement cette méthode s’applique avec des avantages divers, elle est commode ou incommode suivant la façon dont on est d’avance engagé vis-à-vis des événemens attendus, suivant les obligations que ces évé-