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Ces paroles, dont je n’appréciais aucunement la portée, me rappelèrent seulement Godfrey et l’injustice qu’on lui avait faite. — Papa, m’écriai-je, Godfrey ne mentait pas l’autre fois...

— Non, reprit-il, et il m’attirait de nouveau vers lui... Je sais à présent, je sais trop bien que ce pauvre enfant n’a jamais rien dit qui ne fût vrai.

Après avoir articulé péniblement ces mots, dont l’accent étrange m’étonnait, il se leva pour quitter la chambre, et comme je voulais le suivre, il m’enjoignit presque rudement « de rester où j’étais. » Je retournai donc dans ma cachette, perdue en un trouble d’esprit qui ressemblait fort à de la stupéfaction. Ma pensée ne prêtait aucun sens défini à tout ce qui se passait devant moi; seulement j’éprouvais comme le pressentiment instinctif qui porte les animaux à se dérober quand l’orage menace. J’avais peur, et dès que j’eus entendu la porte du perron extérieur retomber derrière mon père, qui sortait du château, je songeai à me réfugier dans la nursery. Justement alors, dans la petite antichambre que j’avais à traverser, j’entendis un frôlement de robe, un léger bruit de pas, et la voix de ma mère, qui semblait parler presque bas à quelqu’un. On lui répondait sur le même ton; mais la voix était plus grave, et il me sembla reconnaître celle de M. Wyndham. De ce dialogue pressé, saccadé, nerveux, quelques mots m’arrivaient prononcés plus haut que les autres et plus nettement articulés. M. Wyndham (si tant est que ce fût lui) parlait « d’une chasse à laquelle il avait échappé... » Il avait « failli être pris... » J’aurais pu croire qu’il s’agissait d’une partie de cache-cache, n’était que les grandes personnes, je le savais, ne jouent pas ainsi.

— Tout cela ne serait rien si vous vouliez, ajoutait-il... — Et je ne pus me rendre compte de ce qu’il proposait, car le reste de la phrase m’échappa; mais il reprit bientôt : — Partir, partir!... il le faut à présent... — Emmenez moi donc! disait ma mère. — Il me sembla qu’il refusait, qu’elle insistait... Elle parla de « lettres. »

— Où est-il à présent, et où sont-elles? demandait M. Wyndham.

Ma mère d’abord ne répondit pas. Sa poitrine haletante semblait lui refuser service. De ce qu’elle dit ensuite, je ne pus saisir que ceci : A son frère !

— Alors nous sommes perdus! reprit M. Wyndham avec l’accent du désespoir; puis, après un silence qui dura bien près d’une minute ; — Quand est-il parti? De quel côté?

Dans la réponse de ma mère, je ne distinguai que deux mots : —... La malle-poste,... par les bois!... — Un bruit se fit qui annonçait le départ de M. Wyndham. Ma mère le supplia une dernière fois de l’emmener. Je n’entendis pas la réponse. On ouvrit