Je restai comme pétrifiée devant ce nouvel aspect de l’avenir qui se déroulait devant moi. Eugénie ne s’apercevait de rien et continuait à bavarder. Mon air sombre finit par l’avertir que ses plaisanteries n’avaient pas le moindre succès. Et quelle ne fut pas sa surprise quand elle m’entendit lui déclarer froidement que je ne paraîtrais pas au bal de mistress Stratton!... sa surprise et ses remords, pourrais-je ajouter, car « elle s’en voulait mortellement, disait-elle, d’avoir ainsi, par sa curiosité d’abord, ensuite par son indiscrétion, contrarié les projets formés pour mon bonheur!... » La généreuse enfant, je lui dois cette justice, ne songeait qu’à moi dans toutes ses doléances. Elle ne se disait pas que sa carrière serait probablement fort compromise, si l’on venait à savoir qu’elle était la cause de la détermination que j’avais prise in petto. Pourtant, quel que fût mon trouble d’esprit, je ne perdais pas ceci de vue et m’étais bien promis tout d’abord de lui garder le secret; mais j’avais compté sans ma mère, qui, lorsque je lui fis part de ma nouvelle résolution, voulut à toute force en connaître le vrai motif. Sa colère alors me convainquit qu’Eugénie avait parfaitement interprété l’entretien des deux amies. J’eus ensuite un rude assaut à soutenir; mais enfin ma mère vit qu’elle compromettrait vainement, à me vouloir contraindre, une autorité dont elle connaissait les bornes. — Soit donc, dit- elle, vous n’irez pas à ce bal; mais, permettez-moi de vous le dire, il est parfaitement présomptueux à vous de penser que le jeune homme dont on vous a fait peur se serait infailliblement épris de vous. Où puisez-vous la confiance d’être irrésistible?...
Telle n’était point ma pensée, mais je n’ignorais pas que la mort d’Emmeline, en doublant ma fortune à venir, avait fait de moi ce qu’on appelle « une héritière, » et les paroles de Godfrey retentissaient encore à mes oreilles. Il m’avait mis en garde contre tous les Wyndham, qualifiés par lui de « misérables mendians. » Je ne répétai certes pas ces expressions méprisantes; mais dans ma réponse à ma mère il perça probablement quelque chose du sentiment qui les avait dictées, car elle devint fort pâle, et, appelant M. Wyndham, lui dénonça ce qu’elle appelait « ma désobéissance. » La physionomie de son mari à ce moment prit une expression effrayante; mais sa voix resta parfaitement calme tandis qu’il m’engageait «à bien réfléchir, » ajoutant « qu’il ne pouvait permettre à ma mère de tolérer tous mes caprices, et que si je refusais de l’accompagner où elle me voulait conduire avec elle, je ne devais pas m’attendre à être menée où je voudrais aller. »
La portée de cette menace ne pouvait m’échapper. Il fallait ou subir la soirée chez mistress Stratton, ou reprendre la vie de recluse que je menais depuis trois ans. L’alternative était assez pénible. Je