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pieuses des saints et les prouesses de Charlemagne et de ses barons ; mais toutes choses tournèrent court. À peine atteignit-on le XIVe siècle, et déjà la féodalité était en complète décadence, et la langue d’oïl et la langue d’oc périssaient pour se transformer et faire place au français moderne. Il ne faut pas croire en effet qu’il en soit des rapports du vieux français avec le français moderne comme de l’italien moderne avec l’italien ancien, c’est-à-dire qu’il ne s’agisse que de termes archaïques et de formes tombées en désuétude. Non, la différence est bien autrement profonde ; elle porte sur le système grammatical. La langue d’oïl, comme la langue d’oc, a des cas ; le français n’en a plus. La langue d’oïl, comme la langue d’oc, est de transition et tient du latin une déclinaison réduite, mutilée, mais réelle ; le français est une langue sans déclinaison et définitivement moderne. Dans cette ruine du régime politique et de la langue, la vieille littérature ne se continue plus, et, avant qu’une nouvelle apparaisse, la place est prise. C’est le tour de l’Italie : Dante, Pétrarque, Boccace, puis le XVe siècle, puis le XVIe siècle, les poètes, les artistes et toute cette splendeur qui ravit le monde. Là fut le moment marqué pour l’éclipsé ; le régime politique qui avait fait la gloire des libres communautés et des petits princes s’affaissa, et cet affaissement, qui dura jusqu’aux premières secousses de la révolution française, et duquel l’Italie est aujourd’hui arrachée par un puissant réveil, aurait été sans compensation et sans lumière, si la culture des sciences, la gloire des arts et surtout de la musique n’avaient entretenu la grandeur de la nation, ses espérances et celle des cœurs qui lui sont sympathiques en Europe.

Pendant que la France d’abord et l’Italie ensuite posaient les assises de la littérature occidentale, une autre nation occidentale sortait des limbes de son histoire, car c’était la destinée de chacune, dans le travail de rénovation qui suivit la chute de Rome et l’invasion des Germains, de se dégager à son heure et d’intervenir parmi les autres en parole et en action. L’Angleterre, ayant perdu son autonomie anglo-saxonne par la conquête normande, perdit du même coup sa langue anglo-saxonne ; le gouvernement, les lois, les tribunaux ne parlèrent que français, et si cet état de choses avait duré, ou plutôt si l’invasion française avait porté un nombre de colons proportionnel au nombre de seigneurs qu’elle envoyait, il se serait formé un dialecte anglo-normand, c’est-à-dire un dialecte français modifié par la population indigène et la localité. Certes on put le croire durant le XIIe siècle, et au fond ce fut un peu ce qui arriva, car lorsque les conquérans eurent été finalement absorbés et qu’il y eut en Angleterre, non plus des Saxons et des Normands, mais des Anglais, une nouvelle langue apparut, non plus anglo--