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tion de la pièce, dérouleront en se déroulant le personnage, et vous aurez le drame romantique. Ainsi que cela doit être, le premier est plus simple et plus facile; le second est plus compliqué et plus difficile. Le premier s’attache à une action, et combine dans ce rapide instant les passions qui la déterminent; l’autre s’attache à une phase, longue ou courte, d’une vie humaine, et combine avec elle l’événement qui en fait le caractère. L’exemple de Macbeth rendu classique montre distinctement le progrès du drame romantique sur le drame classique; il faut mutiler l’un pour produire l’autre. Ainsi réduit, c’est le thème ordinaire d’un crime causé par l’ambition et d’un complot plus ou moins bien conduit: la diversité est dans les circonstances; mais, remis dans son ampleur primitive, c’est un personnage soumis à l’épreuve de l’ambition, du crime et du châtiment dans un intervalle déterminé de son existence, et y laissant voir dans une lumière idéale toutes les nuances d’un homme particulier, le Macbeth d’une légende écossaise. Cet exemple, je l’applique, on le comprend, au drame classique indûment prolongé, mais non au drame grec. Le drame grec, bien loin d’être une réduction ou mutilation, fut une création, et posa la première et glorieuse assise de ce qui devait être, quand l’histoire aurait assez marché, le drame romantique.

S’il faut résumer et définir, le drame classique, tiré des mythes héroïques et ne peignant que des œuvres divines ou demi-divines, n’a conçu du drame que l’action sans être obligé d’y rien mettre que les traits généraux de l’humanité, toujours cachée par l’anthropomorphisme sous les images de la Divinité; et quand, passant en d’autres mains, il a passé à d’autres sujets, il a traité les personnages historiques comme il avait traité ces dieux et ces demi-dieux, et il a condensé de tragiques destinées en une action où l’intérêt du nœud ne permet qu’une esquisse des personnages. Le drame romantique, tiré des récits du moyen âge et dégagé de toute tradition hiératique et héroïque, a donné à l’action un sens plus étendu, et en a fait non plus le nœud d’un moment, mais le nœud d’une vie, dans l’intervalle où cette vie, déterminée par toutes les circonstances, tisse sa trame bonne ou mauvaise. Ces deux scènes si diverses ont été ouvertes l’une par Eschyle et Sophocle, l’autre par Shakspeare, et ayant été toutes deux causées par ce qui les avait précédées, elles sont réellement la suite et le progrès l’une de l’autre.

Maintenant quelle est en ceci la place historique du drame français? La période d’invention était passée; saisie au vol par l’Angleterre et par Shakspeare, elle n’était plus à recommencer. A la vérité, la France marchait alors vers une nouvelle et grande époque littéraire qui, continuée dans le XVIIIe siècle, devait lui procurer tant d’ascendant en Europe; mais jamais le moyen âge, qui fut pour