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parlent de tout. Je serais très heureux assurément de croire que la question d’Orient peut avoir une solution générale et prochaine, et que l’Europe, par exemple, peut s’entendre unanimement pour saisir l’autorité en Orient, pour y installer un gouvernement collectif, pour y organiser une armée européenne et y créer un budget fédéral; mais je ne puis guère espérer un pareil accord. Comme l’esprit de division et de jalousie de l’Europe fait la grosse difficulté de la question d’Orient, proposer de résoudre cette question par l’accord de l’Europe, comme le fait M. Louis de Juvigny[1], c’est résoudre la question par la question. M. Louis de Baudicourt dit fort spirituellement[2] que le traité de 1856 fut un séquestre apposé sur l’empereur turc. La définition est juste, sauf un point important, c’est que le séquestrant n’a pas ôté l’administration au séquestré. M. Louis de Juvigny propose à l’Europe de réparer cette erreur et de prendre l’administration du séquestre. Cette proposition se rapproche de celle que faisait dans ce recueil, il y a quelques semaines, notre ami et notre collaborateur M. Xavier Raymond, qui demandait que l’Europe nommât à Constantinople une commission de gouvernement[3]. La proposition de M. Louis de Juvigny ne s’éloigne pas beaucoup non plus de l’idée de M. de Tchihatchef, qui croit que l’Europe doit se décider à occuper militairement la Turquie, et que l’armée d’occupation doit se composer de troupes empruntées à tous les états de l’Europe. J’examinerai plus tard le système de M. de Tchihatchef; je veux seulement remarquer en ce moment la rencontre qui se fait entre des esprits fort différens, entre l’utopie et la pratique. L’idée que la Turquie ne peut plus garder l’administration de ses affaires, l’idée qu’il faut la mettre en tutelle arrive à tout le monde : chacun a un nom particulier pour désigner cette tutelle. Dans M. Xavier Raymond, la tutelle est une commission de gouvernement; dans M. de Tchihatchef, c’est une armée d’occupation; dans M. Louis de Juvigny, c’est une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique.

J’ai voulu indiquer quelle était la conclusion du livre de M. Louis de Juvigny et ce qu’elle avait de pratique. Il y arrive du reste à travers je ne sais combien d’utopies plus ou moins aventureuses qui ont toutes cependant, quand on y regarde de près, quelque chose d’applicable ou même d’appliqué. Il y a de ce côté, entre ses considérations et ses conclusions, une sorte de disproportion. Ses considérations sont vastes, étendues, un peu confuses : c’est peut-être pourtant ce qu’il aime le mieux dans son ouvrage; ses conclusions

  1. L’Occident en Orient, Considérations sur la mission politique de l’Europe, par M. Louis de Juvigny.
  2. La France en Syrie.
  3. Voyez la Revue du 15 septembre et du 1er octobre.