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Scythie, à Tomes, dans un climat barbare; mais là même encore il est soumis à l’empereur, et ses Tristes sont la supplication d’un courtisan disgracié au lieu d’être la malédiction qu’un homme libre lance à ses persécuteurs. — Ovide était une âme faible! dites-vous. — Que vouliez-vous qu’il fît? Sur qui et sur quoi pouvait-il s’appuyer? Il trouvait Rome, l’empereur et le despotisme partout. Le monde était un.

Romanæ spatium est urbis et orbis idem.


De nos jours, et grâce à la diversité des états en Europe, si Ovide ne peut pas vivre à Rome, il vivra à Paris, ou à Londres, ou à Berlin, Il ne trouvera pas toujours et partout le bras de l’empereur levé sur sa tête : bonne condition pour la liberté humaine, meilleure encore pour la vérité. Sous l’empire romain, où dire et où écrire une vérité proscrite à Rome? Est-ce à Athènes ou à Antioche? est-ce à Carthage ou à Alexandrie? Tout est romain, et la vérité n’a pas d’asile dans le monde. De nos jours, la vérité qui n’est pas dite à Vienne est dite à Berlin, celle qui n’est pas dite à Paris est dite à Londres. La vérité est sûre d’avoir toujours quelque part un abri et un écho.

Le grand docteur et l’hiérophante de l’unité politique de l’Europe est, selon M. de Juvigny, Napoléon Ier: c’est lui qui a conçu cette grande idée et qui l’a voulu mettre en œuvre. Je ne veux pas d’autre argument que le nom de Napoléon Ier pour montrer combien l’unité de l’Europe est incompatible avec la liberté. J’accorde à M. de Juvigny que Napoléon Ier voulait faire de l’Europe un grand empire, un seul empire, qui eût été le sien, A-t-il réussi? Non, De quel prix avons-nous payé cette tentative? Au prix de deux invasions, au prix de haines et de craintes que nous trouvons encore vivaces en Europe après cinquante ans, et qui sont la plus grande difficulté de notre politique. Après Napoléon Ier, la sainte-alliance a voulu aussi établir l’unité politique de l’Europe, et M. de Juvigny rappelle que, lorsque Napoléon apprit à Sainte-Hélène la fondation de la sainte-alliance, il s’écria : « C’est une idée qu’on m’a volée, » Peu m’importe que la sainte-alliance fût un plagiat ou une invention nouvelle : elle n’a pas réussi, elle n’a pas créé l’unité de l’Europe, et il faut s’en applaudir, car, tout paternel et tout bénin qu’était le despotisme de la sainte-alliance, c’était encore le despotisme. L’unité politique de l’Europe, de quelque manière qu’elle soit organisée, ne peut être que le despotisme. Je défie un parlement universel européen d’être libre huit jours : il sera esclave ou tyran; il aboutira à être le comité d’enregistrement d’un dictateur ou une convention ; il ira à l’anarchie ou à l’empire. L’unité de l’Europe ne se fera point parlementairement, elle ne vivra point parlementaire-