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veaux, que les enceintes des cromlech se changeaient en amphithéâtres, et les menhirs en statues impériales, ces pierres mystérieuses gardaient dans la péninsule armoricaine leur austère simplicité. Autour d’elles, malgré la présence des enseignes romaines, continuait de se presser, dans l’ombre des forêts et le silence de la nuit, une population étrangère à tous les rites de ses vainqueurs, et que l’on vit bientôt invoquer un autre Dieu au pied même des autels qu’avaient environnés ses pères.

Le génie celtique résista en effet à une épreuve plus décisive encore que celle de la conquête, car ces peuples devinrent chrétiens sans échapper à aucune des influences auxquelles ils avaient prêté une obéissance séculaire, sans répudier des pratiques que leurs initiateurs religieux ne se refusèrent point à consacrer. Venus en Armorique de l’île de Bretagne et de celle d’Hibernie, sortis pour la plupart des collèges druidiques, les premiers missionnaires bretons étaient entrés en quelque sorte dans le christianisme sans dépouiller le vieil homme. Ils ménagèrent donc des croyances dont leur propre cœur était à peine détaché. On surmonta de la croix la pierre des sacrifices; l’image de la Vierge mère se refléta dans les sources consacrées, et l’on continua de cueillir, en invoquant Notre-Dame, les plantes salutaires coupées par les vierges fatidiques de Seyna[1] à la clarté de la lune avec la faucille d’or. Pendant que le Gallo-Romain revêtu du laticlave passait du temple de Jupiter dans l’église de Jésus-Christ, le Cette de Cambrie et celui de la péninsule armoricaine, conservant leurs longues chevelures et leurs larges braies[2], entraient de plein saut du druidisme dans la foi catholique.

L’unité morale du peuple breton n’était pas moins heureusement servie par les révolutions politiques qui changeaient alors la face du monde, car les invasions devant lesquelles se dissolvaient les plus vieux états envoyèrent à l’Armorique des concitoyens plutôt que des étrangers. Parti de l’île de Bretagne pour disputer l’empire à Gratien dans les dernières années du IVe siècle, Maxime avait réuni à son armée, lors de son entrée dans les Gaules, une portion notable de la jeunesse bretonne, obéissant à un chef breton comme elle. Séparés de leur patrie par les armées romaines après la défaite et la mort de leur césar éphémère, ces auxiliaires se réfugièrent dans l’Armorique, abandonnée par les légions, terre hospitalière où la communauté d’origine, de langage et de coutumes leur garantis-

  1. Aujourd’hui l’Ile de Sein, sur la côte sud du Finistère. Voyez Edward Davies, Mythol. and Rites of the British Druids.
  2. « Gallia Comata.. Gallia braccata. » (César). — « Veteres braccœ Britonis pauperis. » (Martial.)