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et les régir selon ses lois, lesquelles ne s’accordoient pas aux leurs, parce qu’ils avoient toujours été en liberté sous leurs princes, et ils veoient les François comme serfs chargés de maints subsides, ne voulant obtempérer à l’intention du roy, commencèrent à faire monopolle et eurent conseil ensemble de se défendre[1]. »

Ce sentiment était commun à toutes les conditions et s’expliquait fort bien par la constitution de cette société modeste et tranquille qui aurait formé l’un des états les plus heureux de l’Europe, si la lutte de deux grandes cours n’avait converti en un champ de carnage la terre des saints et des fées, la douce patrie des légendes et des miracles. Sans être riche, ce pays était prospère : des traités nombreux conclus par les ducs, depuis Jean V jusqu’à François II, qu’on peut trouver à leur date au deuxième tome des Actes de Bretagne, constatent l’importance de ses relations maritimes, surtout celle de ses pêcheries. Des mœurs pures et des influences salubres y comblèrent promptement les vides faits par la guerre. Quoique la bonne moitié de sa noblesse fût demeurée sur le champ de bataille durant la lutte des maisons de Penthièvre et de Montfort, cette noblesse, à la fin du XVe siècle, était très nombreuse et se confondait dans ses derniers rangs avec la population rurale, dont la rapprochaient singulièrement la communauté des habitudes et la simplicité de la vie. Ne sortant guère de leurs manoirs que pour paraître aux montres de leurs seigneurs, les nobles bretons vivaient dans une surabondance habituelle de denrées et une fréquente pénurie d’argent sur la manse seigneuriale, où les colons leur fournissaient en nature la plupart des objets fongibles. Ces colons participaient d’ailleurs à la possession du sol, car ils l’occupaient universellement alors à titre de domaine congéable, et l’on sait que l’effet de cet usement, spécial à la Bretagne, est de maintenir le domainier dans la possession indéfinie de l’immeuble qu’il exploite, tant qu’il n’a pas été remboursé à dire d’experts, par le propriétaire foncier, du prix total de ses édifices et superfices. Un parfait accord, attesté par les traditions comme par les chants populaires de la Bretagne, régnait ainsi entre ces hommes, dont la main calleuse ne maniait pas moins courageusement le fer de la lance que celui de la charrue. D’un autre côté, durant le cours de cette longue histoire, une admirable fidélité rattacha presque toujours les vavasseurs aux grands vassaux, et les devoirs imposés par la hiérarchie féodale ne furent respectés nulle part aussi scrupuleusement qu’en ce pays.

Cette fidélité, très honorable en elle-même, peut figurer pourtant

  1. Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, par Pierre Le Baud, aumônier de la reine Anne de Bretagne, ch. 41. p. 361.