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pour des gens qui ont vécu au jour le jour, une paix de six mois est presque la paix perpétuelle.

Quoique la paix avec la Chine soit d’une moindre importance pour nous que la tranquillité intérieure de l’Europe, la France a éprouvé un sentiment d’heureux soulagement en apprenant nos succès à Takou, et on peut dire la fin de la guerre malgré l’incident qui a retardé la conclusion de la négociation.

Nous n’avons pas seulement à nous applaudir de la facilité avec laquelle la France a, pour la part qui la concerne, conduit au succès cette lointaine expédition de Chine ; nous n’avons pas seulement à féliciter nos officiers et nos soldats d’avoir montré leur solidité et leur élégance habituelles sur un théâtre si nouveau pour eux et où ils ne sont arrivés qu’après tant de fatigues fermement supportées. Il y a quelque chose de moins brillant, mais de plus durable qu’un glorieux fait d’armes dans cette trouée que nous venons de pratiquer sur la Chine. Ici, à bien considérer les choses, les intérêts réels du pays ont heureusement devancé, on peut le dire, l’action de notre politique et de nos armes, à l’inverse de ce qui est arrivé en tant d’entreprises infécondes tentées par nous au-delà des mers. La Chine représente déjà pour la France un mouvement commercial annuel de près de deux cent millions, tant les produits chinois ont depuis quelques années pénétré dans notre consommation ; mais chose étrange, consommateurs d’une valeur si importante de marchandises chinoises, nous n’en importons directement nous-mêmes qu’une quantité relativement minime, et nous nous approvisionnons principalement sur le marché de Londres, laissant aux Anglais le bénéfice de ce commerce. Il est certain que la France pourrait et devrait se passer de cet intermédiaire, et aller prendre en Chine même les produits chinois qu’elle consomme et consommera chaque jour davantage. Peut-être l’inertie de nos négocians à l’égard du commerce de Chine tient-elle au peu de place que notre politique avait jusqu’à présent occupée dans ces régions. Notre expédition fait disparaître ce motif. Un autre obstacle, c’était le défaut pour notre commerce de moyens de crédit purement français : ceux de nos négocians qui faisaient le trafic direct étaient obligés d’emprunter l’intermédiaire du crédit anglais pour lier leurs opérations. Cette lacune vient d’être heureusement comblée par un de nos établissemens de crédit les plus populaires, le Comptoir d’escompte, lequel a fondé à Shang-haï une succursale appelée à rendre de grands services à nos négocians et à nous ouvrir véritablement le chemin direct de la Chine, car l’on sait que les moyens de crédit exercent sur le commerce la même influence que les voies de communication. Mentionnons aussi comme un des résultats avantageux de l’expédition l’indemnité de guerre considérable qu’elle nous rapportera, et qui en couvrira probablement les frais.

Ce résultat financier se produirait avec une heureuse opportunité, si l’indemnité chinoise devait nous être promptement payée. On sait quelle énorme