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« J’ai peint mon Pœcile, aurait répondu Polygnote, comme il convenait de peindre un portique. J’ai distribué mes compositions selon les compartimens ; j’ai tenu compte des colonnes qui se projetaient sur le mur ; j’ai calculé les ombres portées par la corniche et la saillie du toit, de sorte que la zone frappée par le jour fût d’un ton plus solide, la zone plongée dans la demi-teinte, d’une couleur plus claire. La peinture de décoration n’est pas de la peinture d’atelier. Mes généraux athéniens ou persans, mes Troyens et mes captives à la belle coiffure, sont peints pour le grand air, la lumière, l’espace. » — « Vous voulez transporter ma Minerve Parthénos ou mon Jupiter olympien, aurait répondu Phidias ; mais ces colosses ne sont pas faits pour être regardés de près ni pour être touchés. Je savais qu’ils seraient adorés par la foule assemblée en dehors du temple, devant l’autel des sacrifices. Je savais qu’ils seraient vus à travers le péristyle extérieur, à travers les portes, à travers une longue colonnade intérieure, à deux rangs superposés. Dans la religieuse profondeur du sanctuaire, les colosses n’ont qu’un effet réduit. La perspective corrige tout : elle substitue à cette fausse grandeur qu’on appelle l’énormité la vraie grandeur qu’on appelle la proportion. » Raphaël eût parlé de même, si l’on avait voulu transporter sur toile la Messe de Bolsena ou la Délivrance de saint Pierre, faites pour les fenêtres qui sont entourées par ces fresques. Michel-Ange n’eût point tenu un autre langage, si on lui eût demandé les grandioses figures de la chapelle des Médicis pour les montrer isolées.

Il y a beaucoup de vrai dans ces objections, mais il y a aussi de l’exagération. La plupart des œuvres qui étaient envoyées à Olympie ou à Delphes n’avaient point de place désignée à l’avance. Les dons qu’adressaient les états et les particuliers, ils les offraient librement, sans s’inquiéter du lieu qu’ils occuperaient. Les artistes auxquels on commandait des statues de divinités ou d’athlètes n’avaient ni mesures imposées, ni convenances à observer. Il se pouvait même qu’ils n’eussent jamais visité ces sanctuaires célèbres. C’était aux Éléens ou aux prêtres de Delphes qu’il appartenait de trouver pour tous les présens qu’on leur adressait l’emplacement le plus favorable. Nous reconnaissions tout à l’heure qu’un harmonieux désordre devait présider à la disposition de richesses aussi variées et d’époques aussi diverses. En outre, si on lit avec attention les auteurs, on s’apercevra que les Grecs ne faisaient pas uniquement de la sculpture et de la peinture pour décorer les monumens : ils avaient des statues d’atelier et des tableaux de chevalet, œuvres détachées qui tantôt étaient commandées, tantôt attendaient l’acheteur. C’étaient certainement les productions les plus nombreuses dès le siècle d’Alexandre. On pouvait donc les transporter, les exposer, les comparer entre elles. Cette comparaison conduisait naturellement à l’idée d’un concours.