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dans la plupart des comtés, le cri « aux armes » avait rencontré peu d’échos : on s’était contenté d’ouvrir des souscriptions afin d’enrôler des recrues pour le service. Le mouvement ne se développa que vers la fin du dernier siècle (1798-99). Cette fois tous les yeux s’ouvrirent aux dangers qui menaçaient le pays. Le traité de Campo-Formio venait de laisser l’Angleterre seule debout et l’épée au poing en face de la France, qui avait conquis ou réduit au silence les autres nations humiliées. Une armée française de 270,000 hommes, disposée le long des côtes du détroit, était à un jour de marche des divers points d’embarcation. Ces préparatifs, selon le langage des Ano-lais, firent lever le lion[1], et le sentiment national éclata en actes de dévouement. On accrut l’armée, la flotte, la milice, et de plus un bill du parlement engagea les citoyens à lever des corps de volontaires dans toutes les parties du royaume. Un immense enthousiasme répondit à cet appel de la patrie en danger, et s’étendit bientôt à toutes les classes. L’évêque de Wincester autorisa le clergé du Hampshire, et surtout celui de l’île de Whigt, à prendre les armes[2]. Quoique tous les rangs de la société offrissent leurs services, on crut alors utile de faire un choix. Les citoyens connus et respectables furent seuls admis dans la nouvelle phalange. Les officiers devaient jouir d’un revenu d’au moins 50 livres sterling par an, fourni par une propriété territoriale, et résider dans le comté où le corps avait été levé. Malgré ces restrictions qui représentent bien l’esprit défiant du gouvernement d’alors, en moins de trois semaines 150,000 volontaires étaient enrôlés et armés. Ils faisaient l’exercice six heures par semaine, et ceux qui le jugeaient à propos étaient libres de réclamer 1 shilling pour le temps qu’ils consacraient à apprendre le métier de soldat. Les frais auxquels donna lieu la nouvelle force armée figurent au budget de 1799 pour la somme de 350,000 livres sterling. Sept mois s’étaient à peine écoulés depuis cette prise d’armes, quand le roi déclara, dans son discours à l’ouverture du parlement, que « la démonstration de zèle et de vigueur partie de tous les rangs de la nation anglaise avait empêché l’ennemi de mettre à exécution de vaines menaces. » Faut-il

  1. Je ferai observer à ce propos que, chez les poètes et les écrivains du premier empire, il est sans cesse parlé de la dent du léopard. Arrivé en Angleterre, je cherchai naïvement ce fameux léopard sur les armes de la nation, et je fus étonné d’y trouver un lion. J’ai lu depuis sur ce sujet une longue dissertation héraldique, écrite par un Anglais, et d’où il résulte que la vieille Angleterre a toujours eu pour symbole le roi des animaux, mais que dans l’enfance de l’art la main inexpérimentée des peintres de blason peut bien avoir produit des figures douteuses, dans lesquelles l’ignorance ou la jalousie des autres nations a cru reconnaître les traits du léopard, animal qui, d’après la classification des naturalistes, appartient d’ailleurs à la même famille.
  2. C’est dans la collection du Times qu’il faut chercher les détails de ce mouvement et l’esprit qui animait alors l’Angleterre.