Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’invasion. C’est d’après ces principes, gravés dans le caractère national, et sous le coup de profondes inquiétudes, dont se montrait de plus en plus atteint l’état des affaires, que la population résolut enfin de prendre elle-même les armes. J’aime pourtant à en croire la parole de lord Elcho[1] : « Le mouvement des volontaires n’est point sorti d’une panique, mais de la honte qu’inspirait aux Anglais l’idée de voir une grande nation comme l’Angleterre soumise au mal de la peur. » Ne dit-on pas que douze villes de la Grèce se disputaient la gloire d’avoir donné naissance à Homère ? Plusieurs cités de la Grande-Bretagne réclament aujourd’hui la priorité dans la formation des corps libres. Cambridge et Oxford, les deux villes universitaires, ont, paraît-il, le plus de droit à l’honneur d’avoir commencé le mouvement. Des individus se vantent, de leur côté, d’avoir lancé l’idée, et prétendent, dans des brochures que j’ai lues, à une sorte de brevet d’invention. On m’en voudrait de m’arrêter à ces querelles d’amour-propre, qui m’inspirent d’ailleurs très peu d’intérêt. L’organisation des volontaires a été un grand fait national qui appartient à tout le monde. Plutôt que de discuter des titres personnels et douteux, mieux vaut donc préciser nettement, dès le point de départ, l’esprit de cette institution : les Anglais ont voulu fournir à l’état une armée patriotique, équipée à ses propres frais et ayant pour base la défense du pays.

Le gouvernement anglais, qui seconde volontiers tous les mouvemens justes et éclairés de l’opinion publique, ne pouvait refuser son concours en 1859 à la création des corps de volontaires. Le général Peel, alors ministre de la guerre, reconnut dans une circulaire (25 mai) de quelle utilité pourraient être dans les villes maritimes des habitans accoutumés à l’exercice du canon, et partout ailleurs des citoyens armés de carabines pour repousser l’ennemi. Il acceptait donc au nom de la reine les services qui lui étaient offerts par le pays, rappelait, en le modifiant, l’acte de George III, et sanctionnait sous certaines conditions les compagnies de volontaires qui auraient envie de se former. L’administration dont faisait partie le général Peel, et sous les auspices de laquelle a commencé le mouvement, a aujourd’hui cessé d’exister ; mais le même esprit se continue. Le ministre de la guerre actuel, M. Sidney Herbert, a favorisé de tous ses efforts le développement d’une institution qui partout ailleurs qu’en Angleterre eût été regardée comme un danger pour l’état. Le secrétaire de la guerre, lord de Grey et Ripon, a déployé aussi un zèle remarquable pour armer en si peu de temps près de cent cinquante mille hommes. Malgré ces encou-

  1. Un des soutiens les plus énergiques de la nouvelle armée et un des hommes haut placés qui ont le plus fuit pour en étendre la base.