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corps avait été développé par la chasse et la guerre, et qui ne perdaient rien à être vus dans leur nudité. On peut juger de mon étonnement en rapprochant ce portrait de celui qui va suivre.

Les Indiens que je vis ce jour-là avaient une petite stature; leurs membres, autant qu’on en pouvait juger sous leurs vêtemens, étaient grêles; leur peau, au lieu de présenter une teinte rouge cuivré, comme on le croit communément, était bronze foncé, de telle sorte qu’au premier abord elle semblait se rapprocher beaucoup de celle des mulâtres. Leurs cheveux noirs et luisans tombaient avec une singulière raideur sur leurs cous et sur leurs épaules. Leurs bouches étaient en général démesurément grandes, l’expression de leur figure ignoble et méchante. Leur physionomie annonçait cette profonde dépravation qu’un long abus des bienfaits de la civilisation peut seul donner. On eût dit des hommes appartenant à la dernière populace de nos grandes villes d’Europe, et cependant c’étaient encore des sauvages. Aux vices qu’ils tenaient de nous se mêlait quelque chose de barbare et d’incivilisé qui les rendait cent fois plus repoussans encore. Ces Indiens ne portaient pas d’armes, ils étaient couverts de vêtemens européens; mais ils ne s’en servaient pas de la même manière que nous. On voyait qu’ils n’étaient point familiarisés à leur usage, et qu’ils se trouvaient comme emprisonnés dans leurs replis. Aux ornemens de l’Europe ils joignaient les produits d’un luxe barbare, des plumes, d’énormes boucles d’oreilles et des colliers de coquillages. Les mouvemens de ces hommes étaient rapides et désordonnés, leur voix aiguë et discordante, leur regard inquiet et sauvage. Au premier abord, on eût été tenté de ne voir dans chacun d’eux qu’une bête des forêts à laquelle l’éducation avait bien pu donner l’apparence d’un homme, mais qui n’en était pas moins resté un animal. Ces êtres faibles et dépravés appartenaient cependant à l’une des tribus les plus renommées de l’ancien monde américain. Nous avions devant nous, et c’est pitié de le dire, les derniers restes de cette célèbre confédération des Iroquois, dont la mâle sagesse n’était pas moins connue que le courage, et qui tinrent longtemps la balance entre les deux plus grandes nations de l’Europe. On aurait tort toutefois de vouloir juger la race indienne sur cet échantillon informe, ce rejeton égaré d’un arbre sauvage qui a crû dans la boue de nos villes. Ce serait renouveler l’erreur que nous venions de commettre nous-mêmes, et que nous eûmes l’occasion de reconnaître plus tard.

Le soir, nous sortîmes de la ville, et à peu de distance des dernières maisons nous aperçûmes un Indien couché sur le bord de la route. C’était un jeune homme. Il était sans mouvement, et nous le crûmes mort. Quelques gémissemens étouffés qui s’échappaient pé-