Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvraient la terre. En sautant de l’un à l’autre, je parvins assez rapidement jusqu’auprès des maisons; mais le même ruisseau que nous avions déjà rencontré m’en séparait. Heureusement son cours se trouvait obstrué dans cet endroit par de grands chênes que la hache du pionnier y avait sans doute précipités. Je réussis à me glisser le long de ces arbres, et j’arrivai enfin sur l’autre bord. J’approchai avec précaution des deux maisons, que je ne voyais que confusément. Je craignais que ce ne fussent des wig-wams indiens. Elles n’étaient point encore finies. J’en trouvai les portes ouvertes, et aucune voix ne répondit à la mienne. Je revins sur les bords du ruisseau, où je ne pus m’empêcher d’admirer pendant quelques minutes la sublime horreur du lieu. Cette vallée semblait former une arène immense qu’environnait de toutes parts, comme une noire draperie, le feuillage des bois, et au centre de laquelle les rayons de la lune, en se brisant, venaient créer mille images fantastiques qui se jouaient en silence au milieu des débris de la forêt. Du reste, aucun son quelconque, aucun bruit de vie ne s’élevait de cette solitude.

Je songeai enfin à mon compagnon, et je l’appelai à grands cris pour lui apprendre le résultat de mes recherches, l’engager à passer le ruisseau et à venir me retrouver. Nous nous remîmes en route, et à trois quarts d’heure de là nous aperçûmes enfin un défrichement, deux ou trois cabanes, et, ce qui nous fit encore plus de plaisir, une lumière. La rivière, qui s’étendait comme un fil violet au bout du vallon, acheva de nous prouver que nous étions arrivés à Flint-River. Bientôt en effet les aboiemens des chiens firent retentir le bois, et nous nous trouvâmes devant un log-house, dont une barrière seule nous séparait. Comme nous nous préparions à la franchir, la lune nous fit apercevoir de l’autre côté un grand ours noir qui, debout sur ses pattes, et tirant à lui sa chaîne, indiquait aussi clairement qu’il le pouvait son intention de nous donner une accolade fraternelle.

— Quel diable de pays est ceci, dis-je, où l’on a des ours pour chiens de garde?

— Il faut appeler, me répliqua mon compagnon; si nous tentions de passer la barrière, nous aurions de la peine à faire entendre raison au portier.

Nous appelons en effet à tue-tête, et si bien qu’un homme enfin se montre à la fenêtre. Après nous avoir examinés au clair de la lune : — Entrez, messieurs, nous dit-il. Trink, allez vous coucher! Au chenil, vous dis-je! ce ne sont pas des voleurs. — L’ours recula en se dandinant, et nous entrâmes. Nous étions à moitié morts de fatigue. Nous demandâmes à notre hôte si on pouvait avoir de l’a-