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— C’est bien, reprit-il, voilà tout ce qu’il m’importait de savoir.

— Et il partit sans autres paroles échangées sur ce sujet si délicat. J’insiste sur ces incidens, en apparence futiles, parce qu’un mot prononcé de telle ou telle manière, l’accent d’une phrase, un simple jeu de physionomie, ont leur poids dans ces balances, d’une exquise susceptibilité, où sont mises parfois les résolutions les plus importantes. Dans mes entrevues ultérieures avec Hugh Wyndham, — on pressent que, d’abord fréquentes, elles devinrent bientôt quotidiennes, — je portai un laisser-aller, une sécurité relative qu’une attitude plus décidément hostile de la part de Godfrey ne m’aurait certainement pas laissés. Elle m’eût mise en garde, elle eût gêné l’élan naturel de mon affection; elle m’eût rappelé, elle m’eût montré plus infranchissable l’abîme qui nous séparait.

Jamais le mot d’amour n’avait été prononcé entre nous; mais de jour en jour sa confiance devenait plus affectueuse, sa joie de me revoir plus franchement expansive, sa crainte de me perdre encore une fois plus manifeste et plus éloquente. Je m’obstinais, fermant les yeux au péril, à ne voir là qu’une amitié de bon aloi, chaleureusement exprimée par un cœur jeune et fervent. Mes promenades du matin m’étaient devenues chères, et je ne voulais pas les croire dangereuses. Ne l’avais-je pas vu jadis épris d’une autre et presque aussi tendre auprès de moi? Ne l’avais-je pas entendu alors, amoureux de Rosa Glynne, me dire que je l’intéressais, moi, plus que qui que ce fût au monde? Si enthousiaste qu’elle parût, je ne devais donc pas me méfier de son affection présente, aussi pure sans doute, aussi désintéressée que jadis.

Pourquoi insister sur ces sophismes de la passion qui essaie de se dissimulera elle-même? Ils m’abusaient, moi; mais Christine ne s’y trompait pas, et je surpris parfois (sans vouloir lui en demander la cause), je surpris, dis-je, un sourire légèrement moqueur au bord de ses lèvres minces, quand ses enfans, en lui racontant nos excursions matinales, lui vantaient l’inépuisable complaisance de notre compagnon habituel.

Il fallait bien, à la longue, que la fiction cessât; il fallait bien que la vérité reprît ses droits. Le jour de la séparation approchait; il fallut bien en parler. D’une voix que l’émotion altérait, il me demanda si nous nous reverrions jamais.

— Peut-être, lui répondis-je.

— Croyez-vous qu’on puisse vivre d’un peut-être? reprit-il avec une sorte d’amertume.

— C’est selon ce qu’il laisse espérer, répliquai-je.

J’avais voulu prononcer gaiement ces paroles, et par une plaisanterie échapper à l’émotion qui me gagnait; mais je sentais bien qu’une fois désunis, il n’y avait plus guère de chance qui pût nous