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affirmé, ici même, avant mon départ, qu’il n’avait jamais, par lui ou les siens, sollicité ce mariage?

— C’était la vérité, répondis-je d’une voix mal assurée, en me laissant tomber dans un fauteuil.

— Comment, reprit-il en se rapprochant de moi, puis-je croire que jamais, soit avant, soit après son mariage avec une autre, il n’a cherché à vous plaire?

— Jamais.

— Et, recommença-t-il, atténuant l’éclat de sa voix, malgré ce que vous saviez,... Indifférente à ce jeune homme,... il ne lui a pas fallu tout à fait un mois pour vous décider à l’accepter, à tous risques, à tous périls?

L’étonnement dédaigneux qu’exprimait cette question me rendit un peu d’énergie. — Quand vous m’avez interrogée, mon frère, je ne vous ai dit que la vérité. Toute la vérité, je ne vous l’ai pas dite. Jamais Hugh Wyndham, jusqu’à ces derniers jours, n’avait cherché à me plaire; mais je l’aimais, moi, dès ce temps-là même où il s’engageait à une autre... La vérité, vous la voulez, la voilà... Maintenant, Godfrey, si la honte pouvait tuer, je tomberais morte à vos pieds!

Je me sentais en effet comme écrasée, et c’est à peine si j’entendis mon frère s’écrier avec une irritation concentrée : — A merveille! ces Wyndham font des femmes tout ce qu’ils veulent...

L’instant d’après cependant, comprenant quelle humiliation il venait d’infliger à un orgueil qu’il savait égal au sien, il vint à moi, me souleva du siège où je restais à peu près évanouie, et m’étreignant sur sa poitrine comme pour renouer le lien fraternel : — Il y a un abîme entre vous et cet homme, me dit-il à voix basse... J’ai eu tort de ne pas tout vous dire... Je suis responsable de ce qui s’est passé... Il ne s’agit plus de savoir, reprit-il avec effort, si vous voulez ou non épouser Hugh Wyndham, mais si, en le supposant tel que Christine et vous l’avez jugé, ce jeune homme pourra songer, ne fût-ce qu’une minute, à épouser ma sœur.

— Votre sœur? interrompit Christine.

— Oui, la sœur d’un homme qui, en ce moment même, poursuit son frère comme assassin.

A ces terribles paroles, Christine ne put retenir un cri d’effroi. Pour moi, une silencieuse horreur m’envahit; je venais, en un clin d’œil, de tout comprendre : ce séjour dans le Cheshire, prolongé au-delà de tout calcul, ce retour sans cesse annoncé, sans cesse remis, ce silence obstiné gardé vis-à-vis de moi.

— J’ai eu tort, répétait-il... Je devais vous avertir que j’étais de nouveau sur la trace du crime; mais j’avais tant à faire,... de vous je prévoyais tant d’objections...