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places à la peinture de genre, quand elle est digne des Hollandais, nos yeux perdront bien vite l’habitude des toiles mesquines, sans portée, propres uniquement à satisfaire quelques particuliers et à meubler leurs boudoirs. Les portraits seront rares, parce qu’il faut qu’ils soient traités avec élévation et avec largeur, qu’ils offrent la recherche d’un type, s’attachent à l’expression morale, en un mot qu’ils soient le privilège des peintres d’histoire. La sculpture surtout, l’art idéal par excellence, sera puissamment protégée dans ce qu’elle a de viril et d’héroïque. Nous serons délivrés de cette volupté efféminée ou lascive qui tue le sentiment du grand art; la grâce elle-même ne sera acceptée comme un principe que si elle reste chaste et garde un reflet de sa céleste origine. Ainsi les juges du concours, en même temps qu’ils imprimeront une direction au goût public, exerceront sur les artistes eux-mêmes une action salutaire. Il ne sera besoin ni de secousses, ni de scandale, ni de préceptes, ni de programmes, ni d’aucune manifestation qui sente le pédantisme ou la tyrannie. Tout se fera sans apparat, par la force de la pratique et par le développement régulier des concours.

Il s’est produit à l’exposition de 1859 un fait qui justifie ce que j’avance. Une loterie a été annoncée, des fonds ont été réunis, un jury d’amateurs s’est formé. Ce jury a choisi et acheté un certain nombre de tableaux qui ont été exposés à part. On n’a point oublié avec quel empressement les visiteurs se portaient vers ces toiles privilégiées. Quoique choisies par des particuliers, il suffisait qu’elles eussent été choisies pour commander l’attention : elles étaient examinées avec plus de soin par les uns, avec plus de confiance par les autres, discutées par tous avec plus de respect. Or cette loterie n’était-elle pas un véritable concours où les experts étaient d’autant plus intéressés à bien juger que leur opinion s’attestait à beaux deniers comptans? Je ne demande point autre chose que de voir cette expérience se renouveler dans des proportions plus vastes, avec un caractère officiel, ou pour mieux dire national. L’Académie votera les récompenses et les acquisitions, en consultant, non le plaisir des particuliers, mais l’intérêt de l’art : ce sera toute la différence.

On m’objectera que la loterie achetait et que le jury de l’exposition n’achète pas. La gloire ne suffit point pour vivre; elle enflamme les artistes, mais elle ne les nourrit pas. Or les mentions que le jury décerne sont trop souvent stériles. Les esprits sévères me feront même remarquer que tel artiste proclamé avec honneur a dû remporter tristement son tableau ou sa statue, tandis que d’autres, dont les œuvres avaient été repoussées de l’exposition, ont su se les faire payer par le budget. On n’évitera des contradictions aussi fâcheuses que si le jury a autant de puissance que la loterie, et s’il