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verneur de son état, il s’était acquis partout la réputation d’un homme de mérite et d’honneur. L’autre, complètement illettré, mais possédant une voix de stentor, et suppléant à l’instruction qui lui manque par une verve brutale et grossière, était un orateur de carrefour, depuis longtemps à la solde du parti démocratique. Pourvu d’une place de chef de la maréchaussée en récompense de ses services politiques, il était véhémentement soupçonné de laisser échapper, moyennant finance, les gens qu’il était chargé d’arrêter. Ce même homme pourtant, fêté dans toutes les tavernes du port, connaissant par leur nom tous les crieurs de journaux, tous les distributeurs de bulletins, tous les applaudisseurs à gages et tous les comparses des manifestations, était une puissance, et ne se vantait pas lorsqu’il prétendait porter dix mille voix dans la poche de son gilet. Là était la faiblesse de ce parti des vieux gentlemen ou des têtes argentées, comme l’appelaient ironiquement ses adversaires de toutes nuances : composé d’hommes honnêtes et bien intentionnés, qui espéraient réussir à constituer un parti avec des réunions de salons, quelques discours et quelques articles de journaux, il ne possédait aucun des moyens d’action à l’aide desquels on remue les masses.

Le parti unioniste n’avait même pas à son service une de ces formules qui agissent sur les imaginations et qui tiennent lieu d’argumens : il n’aurait pu rédiger un programme sans incliner vers l’un ou vers l’autre des deux grands partis aux dépens desquels il voulait se recruter. Aussi la convention de Baltimore décida-t-elle, après une très courte délibération, qu’elle ne ferait pas de manifeste; elle se borna à donner au parti une devise ainsi conçue : « l’union, la constitution et l’obéissance aux lois. » C’était sans doute une façon ingénieuse d’échapper à la difficulté de se prononcer entre le nord et le sud ; mais aussi tous les partis pouvaient revendiquer ce mot d’ordre. Démocrates et républicains se prétendaient très dévoués à l’union, à la constitution et aux lois; seulement ils entendaient la constitution d’une façon différente, et ils voulaient se servir des lois pour faire triompher leur interprétation particulière. A l’aide de cette formule vague, les unionistes étaient assurés de ne froisser aucun parti; mais ils couraient risque de ne séduire et de ne rallier personne.

Le choix de la convention unioniste s’arrêta sur un compatriote et ancien lieutenant d’Henry Clay, M. John Bell, qui avait longtemps représenté le Tennessee au congrès. Né à Nashville en février 1797, M. Bell embrassa la carrière du barreau et se consacra de bonne heure à la politique : il était à l’âge de vingt ans membre de la législature de son état. En 1827, il fut envoyé au congrès comme représentant du Tennessee; il y siégea quatorze années consécu-