Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au parti républicain; ils exercèrent une influence considérable sur les décisions de la convention républicaine, qui se réunit à Chicago huit jours après la convention unioniste de Baltimore. L’opinion générale était que la candidature serait déférée à M. Seward, et à bien des égards on ne pouvait faire un meilleur choix. M. Seward était l’homme éminent du parti républicain. Sénateur pour l’état de New-York après en avoir été gouverneur, il était sans contestation le premier orateur du congrès. Esprit élevé et philosophique, il déduisait avec une puissance irrésistible toutes les conséquences d’un principe, et sa parole, exempte de toute personnalité, mais toujours grave, ferme et convaincue, remuait profondément ceux même qu’elle ne persuadait pas. La dignité de son caractère, la pureté de sa vie publique et privée, la sincérité de ses opinions, lui avaient valu l’estime de ses adversaires eux-mêmes. Le jour où il était entré dans le parti républicain, il en était devenu le porte-drapeau et presque la personnification. On l’avait vu pendant plusieurs années, à peu près seul dans le sénat, en face d’une majorité dévouée à l’esclavage, soutenir la lutte sans faiblir un seul instant. Continuellement en butte aux attaques les plus violentes et les plus grossières, accusé de trahison, brûlé en effigie et menacé de mort par les hommes du sud, il ne s’était jamais ni lassé ni découragé. Aussi c’était justice que le parti républicain décernât à ce courageux athlète, qui avait livré tant de combats pour lui, la plus haute récompense qu’il fût en son pouvoir de donner. Amis et ennemis y comptaient également. Nommer M. Seward d’ailleurs, c’était assurer au parti républicain l’état de New-York, où sa popularité est très grande, et New-York dispose à lui seul de 35 voix, c’est-à-dire de plus du cinquième des suffrages nécessaires pour l’élection présidentielle. On croyait donc que, si M. Seward n’avait pas la majorité dès le premier tour de scrutin, la plupart des états qui auraient, comme il arrive presque toujours, commencé par voter pour un de leurs citoyens reporteraient sans hésiter leurs voix sur lui et feraient triompher sa candidature.

Mais ce n’est point impunément que, dans une démocratie, on arrive au premier rang : la supériorité du talent doit s’expier comme les autres, et peut-être M. Seward est-il destiné à donner un nouvel exemple de cette fatalité qui a écarté de la présidence Clay, Calhoun et Webster, les citoyens les plus remarquables que l’Amérique ait produits depuis cinquante ans. Les hommes du sud, le trouvant toujours dans la lice, ont concentré sur lui toutes leurs animosités et toutes leurs rancunes; ils ont fini par l’identifier avec le parti dont il est le plus vaillant champion, et qui n’a plus été que le parti de Seward. Ses moindres paroles, recueillies et commentées