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ce prince. Pierre Le Tonnellier confectionnait donc et transportait à chacun de ses voyages plusieurs douzaines de bonnets blancs et noirs pour le jour, rouges pour la nuit, et les saupoudrait d’ordinaire d’une poudre de violette que Le Doulx lui avait commandé d’y mettre, parce que le duc voulait que.« tout ce qu’il mettoit à l’entour de lui sentist bon et odourast bien fort. » Tonnellier venait de faire pour la garde-robe ducale sa fourniture ordinaire et dormait sur les deux oreilles en sa chambre du quai de La Fosse, dans la pensée de repartir le lendemain pour la France, lorsque le prévôt des maréchaux entra de grand matin, le mit aux fers et le fit transporter en la prison de Saint-Nicolas, et « lui dirent ses gardes que les dicts fers étoient faicts comme carcans, et que qui y mettroit lyme, le feu y prendroit. » Après quelques jours du plus rigoureux secret arriva enfin le procureur-général du duc, « et lui dist qu’il estoit accusé de beaucoup de grans cas, et qu’il advisat bien de dire vérité sans lui déclairer sur quoy, et fust bien trois mois en l’estat toujours enserré sous portes de la dite tour,... et revint enfin le dict procureur général, disant que le duc estoit bien informé que ses bonnets estoient empoisonnés, que le roy le lui avoist fait faire, qu’il en dist la vérité, ou seroit mis en question, mais, s’il le vouloit dire et confesser liberallement, que le duc lui pardonneroit tout et lui donneroit de l’argent bien largement. A quoi il dist et respondist que jamais ne en avoit oy parler, et n’avoit parlé au roy, ne le roy à lui. Et après que le dict procureur général l’eut fort menacé tant de la question que d’être jecté en la rivière, il le persuada plusieurs fois de confesser que le roy le lui avoit fait faire, lui promectant que le duc lui feroit de grans biens, tellement que lui ne les siens n’auroient jamais povreté. A quoi le dict qui parle lui dit qu’il ne demandoit que justice, qu’il estoit pur et innocent du cas. »

Le lendemain, l’un des archers du prévôt lui amena un barbier « qui le fit rere et abattre tous ses cheveulx sans lui dire pourquoi c’estoit. Et environ une heure après vint un autre sergent qui lui apporta l’un des dists bonnets et lui dist qu’il le mist en sa tête. Et quand le dict qui parle vit le dict bonnet, qui estoit tout descousu, fouppy et en mauvais estat, il eust gran paour que les dicts prevost et procureur l’eussent empoisonné, et pria au dict sergent qu’il fist venir le prevost, ce qu’il fist. Auquel lui qui parle dist qu’il vouloit bien essayer le dict bonnet et tous les autres, mais que on n’y eût point faict de mal. Et lors le dict prevost lui dist qu’on n’y avoit rien faict, combien que lui qui parle craignoit fort, et à tant mit le bonnet en sa tête, lequel il porta un jour et demi tant nuit que jour. Après lui en fut apporté un autre qu’il porta environ autant, et avant partir de la dite tour, lui fist essayer vingt-neuf des dicts bonnets, et