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Là-dessus, Marthe prenait les deux pans de sa jupe du bout des doigts, faisait une belle révérence comme à la comédie, et, jetant un baiser à son interlocuteur, disparaissait en pirouettant.

Un certain jour que M. Antonin Pêchereau avait sermonné plus que de coutume, jurant qu’il fallait de bonne heure s’habituer à tout et prévoir les plus grands désastres pour être en mesure de les supporter, Marthe lui prit résolument le bras. — Écoutez, lui dit-elle ; on sait des philosophes qui ont fait de gros livres où j’ai mis le nez par hasard : toute leur éloquence s’évertue à vous démontrer que la vie est comme une auberge où l’homme ne fait que passer, et qu’il faut apprendre à mourir. M’est avis que si la vie est une auberge, il n’est guère d’usage d’aller dans les hôtelleries pour y faire maigre chère et s’ennuyer. Quant à mourir, c’est une chose que la mort se charge d’enseigner elle-même sans grands discours. Beaucoup d’imbéciles qui n’en avaient pas l’expérience l’ont appris en un quart d’heure, et ne s’en sont pas trouvés plus mal ; bien plus même, ils ont fait l’économie des réflexions.

— C’est fort beau ; mais la conclusion de tout cela ? demanda l’avoué.

— La conclusion, mon ami, est que, sauf votre respect, vous n’avez pas assez médité sur la force des six mots que voici : ce qu’il faut, il le faut.

L’avoué ne répliqua point. Il lui semblait en ce moment qu’il avait devant lui M. de Neulise, mais M. de Neulise jeune et beau. Marthe en avait les yeux, la voix, le mouvement, la volonté. — L’étrange petite fille ! murmura-t-il quand elle se fut éloignée, ça vit de romances et de pralines, et ça raisonne !… C’est à croire quelquefois qu’il y a une tête là-dessous !


II.

Marthe avait cela de singulier qu’en ressemblant à sa mère, dont elle reproduisait les traits charmans, elle faisait penser à M. de Neulise. C’était quelque chose d’indéfinissable qui frappait tous les yeux : cela brillait par éclairs, et cela saisissait, quand elle parlait surtout. Marie, qui avait le même visage, c’est-à-dire la même bouche, le même nez, le même front, les mêmes cheveux, faisait bien voir au premier regard qu’elle était la sœur de Marthe ; mais cette ressemblance, éclatante lorsque la timide recluse ne faisait que passer, diminuait bientôt quand les deux jeunes filles restaient ensemble quelques instans, et s’effaçait par degrés jusqu’à disparaître presque tout à fait, si la conversation prenait un tour vif et rapide. Le masque était semblable, la physionomie ne l’était pas. Et quel