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Nous n’avons pas besoin de remonter bien loin en arrière et d’invoquer l’expérience d’autrui pour savoir le mérite qui revient à la persévérance de l’esprit libéral. Lorsque nous avons pris à tâche de faire retentir ici avec une obstination systématique le nom décrié de la liberté, sans parler des tracasseries encourues, à quelles dérisions et à quels reproches ne nous sommes-nous pas trouvés exposés ! Pour certains, nous étions des factieux ; d’autres s’épouvantaient de notre audace ; les plus indulgens nous taxaient de ridicule enfantillage. C’était le temps où des gens qui se croyaient habiles et profonds se faisaient les publicistes de la servitude, et décoraient leur lâche école du nom de littérature d’état. Quelles foudres on lançait sur les importuns qui osaient réclamer la liberté de la presse ! Quel sourire méprisant et étonné lorsqu’on s’avisait de demander pour le corps législatif « une participation plus directe au gouvernement ! » Mais l’abomination de la désolation, c’était le régime parlementaire. En prononcer le nom, c’était plus que de l’insolentfe, c’était de l’effronterie : on eût dit une sorte d’obscénité politique, et quand d’incorrigibles cyniques en osaient évoquer l’image, il faisait beau voir

Les fronts pâlir et rougir de colère !


En attendant que ces prudes d’hier aient accordé leurs instrumens pour le concert d’aujourd’hui, — ce qui ne sera pas long, — qu’il nous soit permis de nous distinguer d’eux. Forçons-les à reconnaître que nous avons sur eux l’avantage auquel ils doivent être le plus sensibles : nous avons apprécié mieux qu’eux la force des circonstances, et nous avons mieux qu’eux jugé le caractère et l’esprit de l’empereur. À nos amis, cette expérience apporte un enseignement plus consolant : elle prouve que c’est une erreur de mesurer, dans le progrès des idées et des institutions politiques, les chances de succès d’une cause aux forces apparentes dont elle dispose, et de puiser dans la disproportion des forces un motif au découragement et une excuse à l’inaction. Il n’est jamais inutile de tenir le drapeau déployé, même lorsque les soldats sont dispersés et quand les chefs divaguent ; il n’est jamais inutile de marquer le pas, même lorsqu’on ne peut avancer. Ce n’est pas seulement par l’effort des hommes que les causes politiques triomphent ; une part de succès, la plus grande peut-être, tient aux circonstances. C’est pour cela que la constance et la dignité des efforts sont un devoir, même lorsque les circonstances sont contraires, car les changemens dans les affaires humaines sont toujours si rapides et quelquefois si soudains que l’on ne peut jamais dire, au moment où l’aspect en est le plus défavorable, que l’on ne touche point au contraire aux occasions décisives. C’est en ce sens que ceux que la mauvaise fortune n’a ni corrompus ni lassés ont droit à revendiquer une part dans les victoires que les circonstances, bien plus que leurs propres efforts, viennent à l’improviste procurer à leur cause.

Rien n’est instructif, à ce point de vue, comme ce qui se passe aujourd’hui. L’opinion proprement dite, celle de la France du moins, n’est pas