Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas pleurer : c’était au cœur qu’elle était frappée. Le nom de Raoul lui revenait à chaque minute aux lèvres, comme si elle eût cherché à se convaincre ou à douter que ce fut lui qu’elle venait de voir. La Javiole l’entraîna, et le soir même elles repartirent pour Rambouillet, où Mme d’Orbigny arriva dans un état de torpeur effrayant. — Oh ! il la tuera, bien sûr ! murmura la servante en déshabillant sa maîtresse comme on fait d’un enfant. Un signe que lui fit Mme d’Orbigny l’empêcha de répondre aux questions dont elle était accablée par Marie et M. Pêchereau. Marthe soignait sa tante prestement, lui prodiguait de bonnes paroles et l’embrassait. La Javiole, que son secret suffoquait, s’en alla. — C’est égal, murmurait-elle exaspérée, à quoi donc servent les gendarmes ?

La fièvre qui dévorait Mme d’Orbigny éclata avec une intensité qui effraya le médecin. Il reconnut à différens symptômes que le mal qui venait de faire explosion avait de profondes racines. C’était comme un feu qui couve sous la cendre, et qu’on ne peut plus arrêter quand les flammes se répandent au dehors. Dès la fin de la semaine, le médecin appelé au chevet de la comtesse ne conserva plus aucun espoir. Depuis qu’elle était alitée, Mme d’Orbigny gardait presque continuellement le silence. Marie pleurait. Marthe allait, venait et chantait quelquefois. Quand on ne la voyait pas, la rieuse fille s’essuyait les yeux. M. Pêchereau faisait pitié.

Un matin, tandis que Marie et la Javiole étaient en prière à l’église, Mme d’Orbigny se tourna du côté de Marthe. — Eh ! vite, dit-elle, ouvre ce petit bureau où je serre mes papiers ; dans un tiroir, sous des dentelles, tu trouveras une bourse pleine d’or… Prends-la.

— Vous voulez que je prenne ?…

— Eh ! oui, dépêche-toi !

Un peu étourdie de l’accent de Mme d’Orbigny, Marthe se hâta d’obéir. La tante la suivait des yeux avec toutes les apparences de l’anxiété la plus vive. — As-tu la bourse ? reprit-elle.

— Oui… À présent, que voulez-vous que j’en fasse ?

— Eh ! bon Dieu ! garde-la !… S’il arrivait demain, je la lui donnerais peut-être !

Marthe regarda Mme d’Orbigny et pensa qu’elle avait le délire… Elle s’approcha de son lit. — Tu ne me comprends pas, poursuivit la malade ; mais n’aie pas peur, j’ai la tête en bon état, et c’est pour cela que je m’empresse d’en profiter. Ces quelques louis, serre-les au fond de ta poche, et quoi qu’on te dise, ne t’en défais pas : ils pourront t’aider à vivre… ou du moins à passer les premiers jours… Mon testament est chez le notaire ; je désire que tu aies l’administration du peu qui reste… Je vous laisse tout.

Marthe fut remuée ; la pensée qu’elle pouvait perdre sa tante lui